Prologue

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Bella

Je ne veux pas me lever ce matin. Pourtant il le faut. Les rayons du soleil, filtrés par mes volets, m’aveuglent. Après avoir fermés quelques minutes les yeux, je m’extirpe difficilement de mon lit pour m’habiller. J’enfile lentement une robe patineuse noire ; ce n’est pas mon style, pas du tout, mais maman l’adorait, elle voulait que je la porte pour chaques grandes occasions. Je ne la mettais que pour lui faire plaisir. Aujourd’hui, ça lui aurait fait plaisir. Je chausse des escarpins noirs et réunis mes cheveux en une queue de cheval. Prête, je quitte ma chambre et vais dans celle de mon frère.

- Attends, je vais t’aider, dis-je en le voyant se battre avec sa cravate.

- Si maman était là, ce fichu nœud serait fait depuis longtemps, grogne-t-il, énervé.

Jordan est rongé par une colère noire depuis que nous l’avons appris, et il suffit de peu pour qu’il explose. Cette cravate pourrait bien le faire pleurer, aussi je la lui noue autour du cou avant qu’il ne soit tenté de se pendre avec. Mon frère a toujours été joyeux, optimiste, un peu gamin mais il était toujours heureux. A présent il n’est plus que cernes, yeux vides, joues creuses et mâchoire serrée. Il a le teint très pale, les poings crispés et les yeux brillants. Il essai, tout comme moi, de tenir bon mais c’est très difficile. Jordan a toujours été très beau : c’est un grand jeune homme brun de dix-neuf ans, aux yeux bleus océans et à la mâchoire carrée. On se ressemble beaucoup, s’il n’avait pas deux ans de plus que moi, nous aurions pu être jumeaux.

Il me tend ses bras et je viens m’y nicher en humant son odeur d’après-rasage. Après un long moment, nous nous séparons et allons au rez-de-chaussée, ma main dans la sienne. Au salon, la famille est réunie. Aussi bien celle de maman que celle de papa, tous se réconfortent mutuellement comme s’ils avaient toujours été très unis. Cette scène m’arrache un sourire amer. Les parents de maman pensaient que notre père n’était pas assez bien pour leur fille. Fille qui a choisi son premier amour même si pour cela elle s’est mis sa famille à dos. Quant aux parents de papa, ils ne se sont même pas donné la peine de venir au mariage de leur fils. Mon frère et moi n’avons jamais eu d’affinité avec eux. Ils nous envoyaient des cartes d’anniversaire jusqu'à ce que j’atteigne dix ans, puis ils ont arrêté. Papa et maman n’auraient sûrement pas aimé les voir ici aujourd’hui, mais leur présence est conforme au rôle de parents qu’ils sont censés jouer. Même si je ne suis pas heureuse qu’ils soient présents, sachant qu’ils ont toujours été absents.

En nous voyant, notre tante nous tend les bras, en pleurs, mais ni Jo ni moi ne bougeons. Et puis quoi encore ? Elle baisse les bras et murmure quelque chose qui ressemble à « pauvres enfants ». Je ne veux pas de sa pitié. Avant que je n’exprime mes pensées à haute voix, mon frère me tire vers l’extérieur afin que nous rejoigons le cimetière.

Nos parents n’étaient pas croyants mais nos grands-parents ont fait appel à un prêtre qui baragouine des phrases apprises par cœur, dépourvues de sincérité. J’ai l’impression qu’il parle pendant des heures et j’aimerais vraiment qu’il s’en aille. Je tente de calmer ma colère mais le soleil de plomb m’agace de plus en plus. Premièrement, de quel droit cet homme, sous prétexte que c’est un homme d’église, se permet-il de parler de mes parents ? Comment peut-il dire que c’était des gens formidables, aimants, généreux, et j’en passe, alors qu’il ne les connaissait pas? Certes ils étaient sans conteste tout cela, mais c'est sûrement ce qu'il répète à chaque enterrement! Ce n’est vraiment pas émouvant, pourtant, autour de moi, tout le monde pleure. Sauf mon frère et moi. Nous réservons cela pour plus tard. Deuxièmement, pourquoi fait-il beau ? Pourquoi le monde continue de tourner et les gens de vivre normalement ? Mes parents sont morts ! Je veux qu’il pleuve, que le monde ressente ma colère et ma tristesse, que la terre cesse de tourner ! Mes parents sont MORTS.

Vient l’heure d’enterrer les cercueils, mon cœur bat vraiment très lentement, je pense même qu’il va s’arrêter. Ma vision se brouille et mon cerveau ne répond plus, je ne me sens pas très bien. Vraiment, je lutte pour rester debout, même si mes jambes sont flageolantes. Je jette un coup d’œil à Jo qui a la bouche entre-ouverte et les mains tremblantes. Il n’est pas plus solide que moi.

Chaque membre de la famille passe devant les cercueils et laisse tomber une rose, une poignée de terre, une larme pour la plupart d’entre eux, un murmure pour d’autres. Quand vient le tour de mon frère, il s’excuse. Sans doute s’en veut-il de ne pas les avoir protégés mais ce n’est pas sa faute. Il dépose une rose mais se garde bien de lancer une poignée de terre. Je le comprends, nous n’allons pas enterrer nos parents nous même. Quand c’est mon tour, je dépose ma rose et jure de venger mes parents. C’est à présent le but que je vais me fixer: les venger à tout prix.

Après l’enterrement, une réception est organisée entre la famille et les amis des défunts. Je ne vois vraiment pas l’intérêt et je suis épuisée. Je ne souhaite qu’une chose : rentrer et dormir jusqu'à ce que la mort vienne me chercher. Tous les invités nous disent que nos parents étaient des gens bien, qu’ils sont désolés et que nous avons été très courageux ; que si on a besoin, ils sont là. Vraiment ? Et quand mes parents avaient besoin de vous, ou étiez-vous ?

Une heure plus tard, Jo et moi parvenons enfin à rentrer à la maison. Nous n’avons voulu de la compagnie de personne, à quoi bon ? La maison est vraiment vide sans eux. Elle est triste sans les rires de papa qui s’amusait à me faire tourner en bourrique, ou sans les fredonnements de maman sur du Bruel. La vie est terne sans elle qui réprimande papa quand il rentre du terrain de foot avec Jo, couvert de boue.

Et les blagues de papa, les horribles blagues de papa qui ne faisaient rire que lui… Je me rappelle des soirées merveilleuses que nous passions à nous taquiner : Papa jouait avec Jo et j’étais jalouse alors je m’invitais dans leur partie de PlayStation, ou je me postais devant la télé pour qu’ils ne voient plus l'écran. Mon frère me coursait dans toute la maison avant que maman ne nous appelle pour le diner qui se terminait souvent en bataille de nourriture. Maman nous disputait même si elle avait lancé discrètement un petit pois sur papa. Bien sûr, quand on le lui faisait remarquer, elle niait tout le temps et allongeait notre corvée de vaisselle.

Ces souvenirs me nouent la gorge, et la tache de peinture sur le tapis blanc du salon n’arrange rien. Papa, qui s’était lancé dans la peinture avait taché le tapis neuf, maman lui en avait voulu. Il lui avait acheté des fleurs pendant toute une semaine pour qu’elle le pardonne.

Je vais à l’étage, dans ma chambre, et me jette sur mon lit défait. J’ai la tête vide et le cœur lourd. Je crois vraiment que le monde vient de s’effondrer sous mes pieds. Mon frère vient me rejoindre peu de temps après. On dirait deux coquilles vides. Vides et tristes.

- Ils seraient fiers de toi, Bella, m’assure Jordan.

-De toi aussi.

Je me blottis contre lui sous ma couette.

    - J’ai trouvé une maison à Los Angeles, annonce-t-il, ça nous éloignera de toute cette merde.

-On part quand ?

-Dès que tu seras prête.

-J’aimerais y être pour la rentrée, plus vite on partira, mieux nous pourrons aller de l’avant.

-Alors on peut partir à la fin du mois, décide-t-il.

Je hoche la tête. Ce sera l’occasion de prendre un nouveau départ. Ici, tout nous ramène à eux. Il vaut mieux partir. Je m’endors dans les bras de mon frère, une première et dernière larme roule sur ma joue.

Bad Love (Tome 1) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant