Une cigarette au coin des lèvres, assise sur une chaise du Raven Café, je sirote mon chocolat chaud. John, mon meilleur ami, devrait déjà être là depuis 5 minutes. Tous les samedis matins, nous nous donnons rendez-vous ici pour discuter des derniers potins, de nos projets, de nos soucis et de nos joies d'étudiants. Et comme tous les samedis matins, il est en retard. Parfois c'est son réveil qui n'a pas sonné, parfois c'est "ce foutu prof d'histoire qui a rajouter un cours au dernier moment ce matin", d'autres fois les embouteillages.
"Je me demande ce qu'il va inventer cette fois..."
Soudain je sens les regards insistants de mes voisins de table. Mes yeux s'arrondissent : mon téléphone sonne.
"Allô?
- Aurore ? C'est John !
- Je m'en doute, ton nom s'est affiché.
- Ah. Oui. Euh... J'aurais pas mal de retard...
- Ca aussi je m'en doute. Alors, c'est quoi cette fois ? Ton chien a manger ton devoir de chimie et tu as du le rattraper ce matin en vitesse ?
- Non, pas cette fois. Cette fois j'ai une bonne excuse : ma mère m'a appelée pour installer internet chez elle, elle veut pouvoir téléphoner a ma sœur quand elle veut, mais il lui faut internet, enfin bref, la ga...
- En gros t'es en route pour la maison de ta mère et tu ne pourras pas être a l'heure, c'est ça ?
- Non. Je ne pourrais pas venir du tout. Désolé.
- Mouais... Lâcheur...
- Pardon... Je dois te laisser, je suis au volant et au téléphone, encore une amande et ma mère m'arrachera la tête !
- Ok, a plus, et bonne chance !"
Je raccroche avant qu'il ne puisse ajouter quoi que ce soit. Chaque semaine c'est comme ça... Furax, je manque de renverser mon cendrier tant j'écrase ma cigarette. Ma main pars automatiquement vers mon paquet, dans la poche de ma veste.
"Aurore... On avait dit 1 par jour grand max... Tu es déjà a deux... En prendre encore une ne serait pas raisonnable..."
Je fais taire cette maudite petite voix dans ma tête et en reprend une troisième. Soudain le visage d'une femme aux longs cheveux noirs apparaît dans mon champ de vision.
"Excusez moi, je vous vois avec une cigarette, vous n'auriez pas du feu par hasard ?
- Non, je ne les allume jamais.
- Je... Pardon ?
- Tant qu'on ne l'allume pas, la cigarette ne tue pas. Et je n'en ai jamais allumé une seule de ma vie. C'est une sorte de métaphore. Tu glisses le truc qui tue entre tes lèvres, mais tu ne lui donnes pas le pouvoir de te tuer.
- Euh...
- Je plaisante. Bien sur que j'en ai. Tenez."
Je lui tend le zippo que John m'a offert et elle me regarde encore un instant, confuse, puis se décide enfin a allumer sa fichue clope et s'en vas sans un mot. J'aime faire ça, mettre les gens mal a l'aise et observer leurs réactions. Cette phrase d'Augustus, dans Nos étoiles contraires, je la sors chaque fois qu'on me demande du feu. Certains ne réagissent pas, s'excusent et repartent. D'autres s'énervent et m'accuse de les prendre pour des idiots, ce qui, au fond, n'est pas forcément faux. Et d'autres, plus rares, font le lien entre la phrase, le livre et la situation. Alors on ris et passe un bon moment. Puis ils repartent et continuent leur chemin, avec en tête cette drôle de fille aux cheveux roux mal coiffés. Mais, a cet instant, c'est moi qui ai en tête cette fille aux cheveux noirs, lisses et bien rangés. Que va-t'elle faire en rentrant chez elle ? Oublier notre petite discussion, ou chercher d'où je sors cette phrase saugrenue ? Ou alors en parlera-t'elle a sa fille aux cheveux aussi parfaits que les siens ? Peut-être qu'elle en discutera a table avec son mari. Je l'imagine déjà :
"Chéri, aujourd'hui, j'ai croisé une drôle de fille.
- Ah bon ? Qu'avait-elle de si drôle ?
- Je ne sais pas... Je lui ai demandé du feu et elle m'a sortie une drôle de phrase... Par rapport a tenir l'objet qui nous tue mais qui ne nous atteint pas, un truc dans le genre...
- Quel rapport avec ton feu ?
- Aucune idée, c'est bien pour ça que je t'ai dit qu'elle était bizarre !"
Oh ! Comme je rirais si c'était ce qui se passait ! Ou alors elle n'en parlera pas, parce que son mari n'est pas au courant qu'elle fume ! Ou encore, un beau jour, elle achètera un livre qu'une de ses fantastiques amies lui aura conseillé, le lira et tombera sur ma phrase ! A ce moment la, comme dans les films, elle aura le droit a un merveilleux flashback de notre rencontre et en rira a tue-tête. Ou bien, lorsqu'elle en parlera a ses enfants, son ado la regardera bêtement en lui disant qu'elle est idiote, que je sors ça d'un livre que tout le monde connais ! Ou, quand elle en parlera a une de ses amies, ce sera justement a ce moment qu'elle le lui conseillera parce qu'il est "vraiment topissime et que ce serait vraiment idiot que tu le loupes ma belle" !
Je suis soudain tirée de mes pensées par une veille dame :
"Bon, ce fichu téléphone, si vous ne l'entendez pas, éteignez le, il ne fais que sonner !"
Et cette dame, que cache son histoire ?
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A la terrasse d'un café
General FictionAlors que j'attendais John à la terrasse du Raven Café comme tous les samedis matins, je reçu un SMS de sa part. "J'aurais du retard. Patiente un peu et je suis la. Désolé." Alors je me mis a observer les gens. Cet homme en costard, a la cravate de...