La vieille dame

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"Bon, ce fichu téléphone, si vous ne l'entendez pas, éteignez le, il ne fais que sonner !"

- Je... Oui, pardon..."

Je décroche donc, confuse et bégayante.

"Hey Aurore !

- Salut Alicia. Ca va ?

- Su-per ! devine qui a quitté le groupe des célibataires ?

- Toi ?

- OUI !!!

- Et tu nous préfères a qui ?

- A Jordan, tu sais le beau gosse du club de foot !

- L'Amérique a les quarterbacks, et la France, faute de moyens, a les footballeurs...

- On s'en fous de ça, je sors avec Jordan, LE Jordan !

- Ravie pour toi. Tu m'excusera mais ta quête de popularité ne m'intéresse pas tant que ça, donc a plus Miss Rêveuse.

- Pff, a plus Miss Blasée..."

Et elle raccroche. Miss Blasée c'est le surnom que tous mes amis me donnent, puisque je suis toujours... Bah blasée. C'est dans le nom... Mais ils se trompent, c'est pas que je m'en fous, juste... Ouais, si, en fait je m'en fous.

"Il vous fallait autre chose mademoiselle ?"

Je regarde, complètement perdue, la serveuse devant moi.

"Je... Euh... Oui... Enfin non..."

Elle me regarde, le sourire aux lèvres et repars. Elle doit bien se foutre de moi, elle m'a tirée si violement de mes pensées que j'en ai perdu mes moyens... Je tire une taffe de ma cigarette et recrache la fumée en petits cercles. Je les observe, comme le feraient des enfants avec leurs souffles chauds dans l'air hivernal.

"Votre fumée m'étouffe, je vais finir par mourir avec vous !"

La vieille femme était, encore, en train de me hurler dessus.

"Eh bien décalez vous, je suis dans l'espace fumeur, et vous aussi. Par ce froid je ne comprend même pas comment une vieille carcasse comme vous arrive encore a bouger sans se transformer en flaque de bave.

- Pardon ?! Comment osez vous manquer de respect a votre aînée ?! J'ai fait la guerre, moi !

- Ah oui ? Vous serviez de boulet de canon ?"

Quelques autres clients installés sur la terrasse ricanèrent discrètement, d'autres s'insurgeaient, me dévisageaient. "Comment peut-elle oser parler ainsi a son aînée ? Je suis sûre que quand je raconterais ça a ma meilleure amie elle sera d'accord avec moi : la jeunesse c'est plus ce que c'était !"

"Non. J'étais infermière. Je sauvais des vies. J'étais utile.

- Je suis tout de même sûre que vous l'auriez été plus en boulet de canon. Aigrie comme vous êtes vous avez surtout du tuer vos patients d'impatience...

- Je ne vous permet pas !

- Je me permet toute seule. Sur ce, je vous laisse peaufiner vos prochains ragots du club de tricot. Restez a l'abris du froid, ce serait idiot que vous ne clamsiez..."

Sans un mot de plus, je me levais, payais et partais. Si j'étais sortie plus tard, les serveurs auraient été obligés de me mettre a la porte, avec l'interdiction de revenir. Et je ne pense pas que John aurait apprécié de devoir chercher un autre endroit pour nos samedis matins... En me retournant, je vis la vieille saisir d'une main tremblante le verre d'eau que la serveuse lui tenais. Je me rend bien compte que traiter ainsi ses ancêtres n'est pas très respectable, mais Miss Blasée s'en fous. Cette vieille mégère sera assise demain, toute la journée, deux longues aiguilles a la main, a blablater avec ses amies toutes aussi aigries qu'elle quand elle se souviendra qu'effectivement elle a une histoire croustillante a leur raconter.

"Oh, mais je ne vous ai pas dit ! Figurez-vous qu'hier, alors que j'étais avec mon petit fils encore au berceau à la terrasse d'un café, une jeune-fille rousse m'a hurlée dessus, disant que je suis aigrie.

- Noooon ! Vraiment ? Jésus Marie Joseph, la jeunesse change... Je suis sûre qu'elle n'allait pas a l'église ! Si elle y allait, peut-être que le bon Dieu lui pardonnera un jour...

- Oh, mais ce n'est pas tout ! Quand je lui ai dit que j'ai servie dans l'armée, elle m'a dit que j'aurais mieux fait d'y laisser ma peau !

- Quelle horreur ! Là, c'est sur, notre bon Dieu ne lui pardonnera pas. Pauvre Marie-Christine, vous avez du vous sentir tellement mal...

- Mais non ! Je l'ai bien remise en place !

- Ah oui ? Comment ?

- Jacqueline, faites attention, vous avez oublié un maillon. Oh, eh bien, je lui ai dit que quand elle sera au milieu des flammes de l'Enfer, elle ne pourra pas toquer a la porte de notre Seigneur pour trouver de l'aide, car elle est bien trop sotte pour servir a quelque chose.

- Comme vous avez raison !"

Et elles surenchériront, les unes après les autres, se prouvant a chaque fois que "non, ma vie est bien plus palpitante que la tienne". Soudain, je suis tirée de mes pensées par un chien. Un énorme chien, un terre-neuve je crois. Ses longs poils noirs, lisse, propres et soyeux me font étrangement penser aux cheveux de la femme de ce matin, celle a qui j'ai prêté mon zippo.

Mais... Se pourrait-il que...

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 12, 2020 ⏰

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