Chapitre 2 - Emphatiquement zéro

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Musique : Echos — Saints

Nous progressons lentement dans la forêt épaisse, rythmé par les branches se brisant sous nos pas. Un long silence défile entre notre troupe de cirque, si épais qu'il en devient comme une énième présence qui aime s'incruster.

C'est Ruth qui finit par le rompre :

— Hum...

— Quoi ? réplique brusquement Léon.

Je détaille sa manière de se mouver dans cette faune. Son prénom lui va à merveille, il ressemble à un lion poursuivi par des braconniers. Agressif, impulsif et incapable de connecter deux neurones ensembles. En somme, une arme parfaite, mais compliquée à contrôler.

— Rien. J'essaye de réfléchir, abandonne la sœur jumelle d'Érèbe.

— J'espère que ce n'est pas trop douloureux, siffle Léon.

La réponse ne tarde pas. J'aperçois à peine une fumée noire l'envelopper avant de voir son corps être projeté contre un arbre. Le bruit de l'impact ne me laisse pas le loisir d'imaginer la douleur et les prochains hématomes qui vont apparaître sur sa peau laiteuse.

Juste un mot : aïe.

— Ne recommence jamais, tonne mon âme sœur.

— Ça va ? demande au même moment Éryx avec une grimace compatissante.

Les gémissements de Léon répondent parfaitement à la question.

— Je crois que tu l'as cassé, annonce mon ami d'enfance.

— Il s'en remettra, décrète Érèbe.

Éryx m'observe de travers en grimaçant étrangement. Pour un fou furieux joyeux, ses traits sont tirés depuis notre arrivée à Umbra. Un sentiment de culpabilité m'envahit. J'ai oublié que son pouvoir comme empathique est comme tous les nôtres : un don à double tranchant. Les premières années, il a dû apprendre à différencier ses propres émotions de celles des autres, se créer une barrière émotionnelle pour ne pas devenir fou.

On parle peu des rares personnes à ne pas supporter la transition entre humain et nocturne. Passer d'une base normale à un être puissant demande des efforts et un contrôle de soi que certains ne possèdent pas. Nous ne sommes pas comme les autres Noctambules, à pouvoir développer notre contrôle depuis la naissance. De lycéen, nous devenons des tueurs avec un pouvoir aussi exaltant que destructeur. Pour les autres, comme pour nous-mêmes.

D'où les nombreux suicides des plus jeunes de notre communauté. Basique comme comportement sauf quand on sait qu'avec notre pouvoir de guérison, il en faut beaucoup pour se tuer. Je n'ai jamais pu trancher entre savoir si ces personnes étaient complètement folles, ou courageuses d'aller jusqu'au bout de leur idée malgré la douleur.

En tout cas, Éryx expérimente en ce moment même la douleur de Léon et les doutes de chaque membre de notre équipe.

Je m'approche de lui avec discrétion pendant que tous les regards sont tournés vers le rouquin. Je passe ma main sur sa nuque et commence à masser doucement cette partie pour le soulager.

— Tu peux couper le réseau, je chuchote.

Je jette un coup d'œil discret aux autres pour vérifier qu'ils n'entendent pas notre conversation. Malgré nos liens étroits, il n'est jamais facile de montrer nos faiblesses à autrui. Et je souhaite laisser à mon ami le choix de les dévoiler de lui-même.

— Je vais bien. Qui plus est, je préfère être à l'affût du moindre sentiment néfaste à notre encontre.

Je fronce les sourcils et lui assène une petite tape derrière le crâne.

Les Noctambules T.2 - Désirs NébuleuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant