La cérémonie

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Dans un bruissement d'étoffe, Iris se retourna pour mieux apprécier la robe de bal qu'elle portait. Elle était magnifique : la robe lui soulignait les épaules grâce à une encolure en coeur savamment étudiée, lui cintrait la taille juste ce qu'il fallait, et retombait autour d'elle dans une mer étoilée. Sa teinte variait subtilement, allant du bleu électrique au bleu nuit. Iris était aux anges, et elle affichait un sourire éclatant. Sa mère eut un petit hochement de tête appréciateur.

- A occasion spéciale, robe spéciale, s'exclama-t-elle. Tu vas être ab-so-lu-ment ravissante.

La jeune femme rosit de plaisir à la sensation de joie qu'éprouvait sa mère, parfois si renfermée. Elles avaient attendu cette journée avec une impatience grandissante. Ce soir, elle faisait son entrée officielle à la cour. Ce soir, on lui remettait son talent. C'était, lui avait-on répété à maintes reprises, un moment tout aussi inoubliable qu'il était crucial si on voulait s'assurer le respect des autres courtisans. Les jeunes gens y étaient en ligne de mire, avec une brève présentation de chacun d'entre eux à la fin de la soirée.

- Dépêche-toi donc, reprit sa mère. Il y a encore tant à faire ! Ta coiffure, pour commencer. Quel désordre, tout ça.

Elle n'eut pas plus tôt dit ces mots que deux personnes, habillées de nuances de gris qui contrastait fortement avec les toilettes colorées des deux femmes, se précipitèrent vers Iris. Elles coiffèrent, relevèrent, épinglèrent ses lourdes boucles brunes en un chignon sophistiqué dont deux mèches s'échappaient, encadrant le visage délicieusement ovale de la jeune fille. Sa coiffure était si serrée qu'Iris sentait des picotements à la base de sa chevelure, mais elle ne se plaignait pas. L'ensemble tenait de la prouesse ; elle avait en général beaucoup de mal à domestiquer suffisamment ses cheveux pour qu'ils ressemblent à autre chose qu'une auréole floue. Dès qu'ils eurent fini, les deux coiffeurs s'effacèrent pour laisser place à une maquilleuse, elle aussi toute de gris vêtue. Celle-ci lui tendit une petite boîte avant de commencer à accomplir des miracles.

- Sur les recommandations de Madame votre mère, dit-elle.

Iris savait ce que c'était. Elle en portait tous les jours depuis qu'elle était en âge de s'en rappeler. Des lentilles colorées. Elles lui masquaient ses yeux bien trop étranges, qui revêtaient toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Sa mère lui disait que ses yeux juraient affreusement avec les couleurs que son teint lui autorisait à porter et, bien qu'elle trouvât que c'était là un argument un peu étrange, elle n'y avait jamais opposé la moindre résistance. Après tout, sa mère était plutôt extravagante, et ce n'était pas la seule chose qui la faisait tiquer. Iris ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle portait bien son prénom. Electre. Comme un électron libre, elle était toujours en mouvement.

D'ailleurs, celle-ci reprenait son pépiement tout autour d'elle, donnant des directives aux domestiques par ci, répondant à leurs interrogations par là. De ce qu'Iris en voyait, ce n'était plus qu'un tourbillon de satin rouge. Elle lui sembla infatiguable, avec ses joues rougies et ses yeux pétillants de malice, ne s'arrêtant de valser à travers la demeure que lorsque l'horloge vola jusqu'à elle en la menaçant d'aiguilles furieuse ; dans le tumulte des préparatifs, personne n'avait entendu sonner les six heures.

Alors Iris et sa mère s'engouffrèrent dans un carosse qui ressemblait à une grosse pomme, sauf que celle-ci était d'albe, ce qui aurait été surprenant dans le cas du véritable fruit, et qu'elle était tirée par deux chevaux blancs comme des colombes qui ne touchaient jamais le sol. Le trajet dura moins de deux minutes, car le château du Roi où le bal avait lieu ne se situait qu'à une centaine de mètres des appartements de la famille, mais Electre avait insisté pour se déplacer en voiture tout de même, ne voulant pas gâter leur toilette. Iris, encore une fois, avait trouvé cela un peu démesuré, mais elle s'était tue. D'un autre côté, elle comprenait le cheminement de pensée de sa mère, la Cour était un endroit où les vipères se plaisaient tout particulièrement, et la moindre goutte d'eau sur sa robe aurait été perçue comme une absolue catastrophe.

Iris Hastein - Le roi des nuagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant