La proposition du prince

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Au commencement, Iris ne sentit rien. Elle voyait seulement un flot grisâtre de magie enrober le bras d'Adonis et se déverser dans sa propre poitrine. Ils restèrent là, face à face, pendant d'interminables minutes ; la foule s'était tue dès qu'on avait annoncé son talent, et avait depuis observé un silence aussi amène que de la glace. Les bêtes aussi devaient avoir senti la solemnité de la situation, puisqu'on n'entendait même pas voler une mouche. Iris se sentait intimidée par sa proximité avec le prince, mais lui n'en avait que faire. Il continuait le transfert, inlassablement, les yeux clos, les paupières s'agitant parfois de battements imperceptibles, la bouche esquissant des grimaces comme si l'acte en lui-même requierait une sorte de concentration surhumaine mais que seules d'infimes parties de son corps pouvait se permettre de la traduire.

Iris jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule pour tenter d'apercevoir sa mère. Electre était bien là, au milieu de la foule qui commençait à s'impatienter. Un cercle vide s'était formé autour d'elle. Elle lui adressa un petit clin d'oeil pour l'encourager, mais Iris vit à sa mine qu'elle était préoccupée. Elle n'eut pas le temps d'y penser : Adonis avait retiré sa main.

- Le transfert est accompli.

Elle était perplexe. On lui avait si souvent raconté les incroyables premiers instants en tant que Mage pourvu de l'ensemble de ses capacités; et pourtant, elle ne perçut aucun changement. Pas le moindre fourmillement, la moindre sensation de mouvement intérieur, pas d'accélération des pensées, pas de vue ni d'ouïe surdéveloppées, pas, non plus, de connaissances encyclopédiques ancrées comme par enchantement dans son esprit. Rien.

Et puis, cela la frappa avec la force d'un tsunami.

Iris se sentait tour à tour lasse, fourbue, rayonnante, amoureuse, détestable, détestée, en colère, aux anges, triste à en mourir. Elle n'eut pas le temps de réfléchir à ses mouvements que ses jambes lui faisaient déjà traverser la foule en quatrième vitesse. Personne ne fit un geste pour l'en empêcher ; au contraire, tout le monde s'écartait sur son passage avec un empressement étrange. Sa mère cria son nom à maintes reprises ; toutefois, ses paroles parvinrent à peine aux oreilles d'Iris, comme étouffée par des tonnes de coussins sur ses oreilles. Ou plutôt, le vacarme dans la tête d'Iris était si assourdissant, qu'elle ne faisait plus la distinction entre toutes les voix qui s'y mêlaient. Elle n'avait plus qu'une seule idée en tête : il fallait qu'elle se mette à l'abri de tout ce monde, de tout ce bruit, c'était intolérable. Alors qu'elle progressait vers le jardin aussi vite que lui permettait ses petites jambes, les courtisans lui jetaient des regards méfiants ou s'empressaient de s'engouffrer dans une porte dérobée. On la fuyait telle la peste.

Sa tête lui lançait comme si on lui avait donné un coup d'encyclopédie sur la tête. Sauf que ce n'était pas un bouquin un peu trop épais qui lui faisaient cet effet-là, c'était ses émotions. Ses pensées. Leurs pensées. Elles fleurissaient comme des roses épineuses, grimpaient le long du mur de sa conscience, la piquaient lorsqu'elle tentait de s'en saisir. Ce n'était pas un bouquet organisé, oh que non, c'était des fleurs sauvages qui poussaient à leur guise, désordonnées, anarchiques, rebelles.

De temps en temps, elle attrapait une pensée : c'était la sienne. Elle revoyait en éclairs la cérémonie, le tableau, l'étrange homme aux cheveux d'argent, la foule, le roi, le prince, et cette onde grise qu'il lui avait transmise, et qui l'avait envahie comme un poison vicieux. Elle en voulait tellement à celui qui lui avait fait subir cela, qu'elle ne lui avait même pas accordé ne fût-ce que l'ombre d'un regard.

Iris était en colère. Son agacement se matérialisa par la chute de nombreux vases de porcelaine sur son passage, et, quand elle arriva devant la porte, par l'ouverture subite de celle-ci avant même qu'elle n'y pose les mains. En heurtant les murs, les battants émirent un bruit sourd qui résonna au lointain malgré la protection qu'offraient les tapisseries.

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⏰ Dernière mise à jour : Mar 28, 2019 ⏰

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Iris Hastein - Le roi des nuagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant