Ana Martinez
Je peux passer mes nuits devant la fenêtre à contempler le monde, à rêvasser.
On est au mois de novembre, le temps est tellement malheureux, c'est sans doute pour ça que je l'aime tant. Le froid, l'hiver. Être enveloppé de vêtements qui nous réchauffent le corps et tenir entre ses mains un bon chocolat chaud. J'imagine sa douce odeur, si agréable. Le bruit de la pluie est sûrement la meilleure des mélodies. Ces gouttes qui glissent le long de la vitre de la cuisine après s'être fortement cogné contre celle-ci. Chaque soir c'est la même chose. Pour passer le temps, j'ai même commencé à observer leur trajet. Vous savez, comme quand on était petit, on se demandait qui est ce qui allait gagner la course ? C'était si amusant. Plutôt que de penser à ma vie je suis bien trop occupée à parier sur celle qui est le plus susceptible de gagner. À en juger sa vitesse, je suis sûr que la goutte de droite va atteindre le rebord plus vite que celle de gauche. Un léger sourire se forme sur mes lèvres, j'ai gagné.
Subitement, une voix me ramène à la réalité. Cette voix grasse et rauque résonne dans la pièce telle un son médiocre qui tourne en boucle dans une station radio. « Donne-moi cette foutue bière » dit-elle d'un ton des plus infernal avec un léger accent du sud de l'Espagne. Cele de mon géniteur. Cette phrase ait écho dans cette baraque depuis, maintenant, de nombreuses années. Une voix odieuse qui a bercé mon enfance, que dis-je, qui a bercé ma misérable vie d'enfant. Cet homme, je peux le haïr comme je peux l'aimer de tout mon coeur malgré tout les reproches que j'ai à lui faire.
Alberto.
Je sens comme un frisson qui parcourt le long de ma colonne vertébrale à chaque fois que j'entends son prénom. D'après les voisins, ce n'est plus le même homme. C'est devenu un monstre. Il a tourner le dos à tout le monde, même ceux qui on toujours été là pour lui. Pourtant, au fond de moi, je sais que c'est mon sang et celui qui a contribué pour me donner la vie.
Je ne peux que m'exécuter et obéir à chacun de ses désirs. Après tout, je ne suis bonne qu'à ça.
Le décapsuleur en main, d'un geste rapide et efficace le petit bouchon de la bouteille en verre s'écrase contre la table en bois de la cuisine de notre petit appartement de banlieue. Peut-être le pire quartier de Paris. Une mousse blanchâtre surgit, alors, que je verse ce liquide dans un grand verre. Encore un qui ne fera qu'empirer son état, mais bon. Mon père, il en a rien à foutre. À force d'avoir ingurgité de l'alcool, je ne sais même pas s'il lui arrive encore d'être sobre.
Mes jambes tremblent à chaque fois que je dois m'approcher de lui. Tenant le verre à la main, je joue nerveusement avec le bas de mon gilet noir. Mes chaussettes frottent le parquet comme pour ralentir chacun de mes pas. Je m'approche de mon imposant paternel, qui est comme à son habitude confortablement installé sur le fauteuil en cuir où lui seul a le droit de s'asseoir depuis bien avant ma naissance. Il est là, complètement amorphe, son corps enfouit sur le siège comme s'il avait peur qu'on lui vole sa place. Ses jambes posés contre la table basse, il passait son temps à grincer des dents, ne supportant pas d'attendre. Ses doigts glacés arrachent le verre de mes mains et je peux sentir mes poils s'hérisser lorsqu'il effleure ma peau légèrement bronzée due à mes origines latines.
C'est horrible.
Il finit par m'observer de ses yeux jaunâtres dus aux nombres d'années que ses poumons flirtent avec la fumée des cigarettes et que son foie consomme de l'alcool. Mon corps devient comme pétrifié par la peur que mon père pose ses mains sur moi, encore.
─ Toujours aussi lente, aller dégage de ma vue et va me préparer à manger, dit l'homme frustré par le temps. Tu sais ce qui me ferais vraiment plaisir ?
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(En)Vol
Romance" La pire des choses est de tombé dans le piège d'un homme qui n'en valait pas la peine. " - Ana Martinez "Je ne peux pas t'aider tant que tu ne me dit pas la vérité." - William Maillet