Funambulles

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Ça bulle dans la case. Ça a toujours bullé, là-bas, dans la pièce du fond. Les idées fusent et les crayons s'usent. Silence, ils créent ! Ils inventent des histoires et se remuent les méninges. Tout est bon pour rire, déconner, s'oublier. Tout y passe, sous le crayon de leur inspiration. Tout et n'importe quoi, pourvu que ça les amuse, que ça les fasse rire. Ils ricanent, entre deux bulles, tandis que les illustres illustrés n'ont pour eux que quelques onomatopées.

À quoi bon se soucier de cette bande de rigolos ? Leurs bulles crèvent la surface, l'onde de choc ne dépasse pas les frontières de leur petit monde. Des menaces ? Oui, mais eux, ça les fait marrer. Dans le grand brouhaha de l'univers, qui se soucie de quelques cases qui s'enflamment sous le cocktail Molotov de la critique ? Pour ceux qui font feu de tout bois et de tout papier, l'ironie les fait sourire autant qu'elle fait grimacer. Ils distribuent des images sans savoir que ce sont des armes. Ils bullent et dessinent, croquent les visages comme certains le font avec la vie.



Les dessins s'enchainent, coups de crayon tranchant dans le vif, aiguisant les esprits, affutant les armes. Les dents grincent, les œillades s'échangent tandis que la bande poursuit sa route, case après case.

Et puis c'est le drame.

Le grand ramdam n'a pas commencé, on funambule devant les encres, on remplit les casemates avec les dessins passés. Bientôt, les phylactères vont frémir et les lettrages grossir. Bientôt, ce sera le silence, cette incompréhension et ce flou artistique qui envahit tout. La ligne claire se brouille, se tord et se fissure. Le rouge remplace le noir.

Les coups de feu ont remplacé ceux de l'encre. Les sons résonnent et font trembler les murs matériels et virtuels du monde. Lourd de sang, lourd de sens perforé par ses trous d'obus au crâne d'obtus. Tandis que s'effondrent les grands enfants, s'érigent les monuments à leur gloire imagée.

Je suis Charlie.

L'entité oubliée des kiosques, toujours à la traîne des ventes, devient le symbole d'une lutte oubliée depuis longtemps. Leurs dessins ont fait d'eux des saints dans le paysage encré de l'actualité. Leur lutte est devenue la caricature d'elle-même, le détournement malheureux qui échappe à ses créateurs. D'indépendant satirique, ils sont devenus monument à la gloire de la république.

Je suis Charlie.

Les réponses fleurissent : des cases vides pour ne pas choquer ; des crayons brisés à la pointe affutée ; des Mariannes éplorées ; et des saints effarés de les accueillir trop tôt. Les bulles s'ornent de ces mots qui ont fait tant rêver. Pour gommer ces actes sans nom qui ont rayé ceux qui signaient en bas de nos pages.

Autrefois, eux aussi, ils noircissaient les pages, alors qu'aujourd'hui, ils font rougir le pavé. Dernier hommage silencieux, les crayons se lèvent d'une même voix pour entonner un refrain aux allures de quantiques, en hommage à ces athées un peu trop cyniques.

Jesuis Charlie ?

FunambullesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant