III - Reed

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[ All eyes on you - St.Lucia]

Mai 2010
Seattle, Etat de Washington

J'ai débarqué à Seattle un soir d'avril.

Originellement je viens du Montana, je suis née à Kalispell, le siège du comté de Flathead situé dans le nord, à quelques pas de la frontière canadienne. Je n'étais pas une grande habituée de la ville. En fait, je ne l'ai jamais été.

J'ai vécu la majeure partie de ma vie dans des foyers pour mineurs, parfois dans certaines familles d'accueil, mais jamais bien longtemps à cause de mon âge et le fait que les parents qui adoptent sont davantage enclin à recueillir des bébés plutôt que des enfants. Mais en suis-je triste? Sûrement pas. Je dois être trop optimiste, trop accrochée à cette foutue idée du destin, bien trop "mordue de la vie" parce que j'ai toujours aimé rencontrer et je n'ai jamais trouvé que ma situation familiale était plus désespérée que celle de quelqu'un d'autre.  Dans le fond, j'ai grandi comme tout le monde, sauf que j'ai trouvé mes repères toute seule. Une famille se trouve là où il y a de l'amour.

Mais il arrive naturellement dans la vie d'un orphelin de vouloir connaître ses origines. Même le plus optimiste et détaché le veut, c'est humain. J'en avais maintenant besoin, ayant toujours essayé de ne pas y penser parce que je n'avais jamais manqué de rien. Alors quand j'ai terminé mes études, j'ai essayé de retrouver ma mère, à cette époque je ne connaissais que son prénom: Jolene.  Alors je n'ai pas pu avancer. Il me restait donc une option: mon père.

De lui j'avais hérité mon nom de famille: Hemmars. Je connaissais aussi son prénom: Grant.

Grant Hemmars.

Je le connaissais parce que ma mère en avait parlé, une fois, au téléphone, lorsque j'avais quatre ou cinq ans avant qu'elle me laisse. J'avais clairement compris ce qu'elle débitait rapidement, les mots "père de Charly" et "Grant Hemmars" étaient ressortis dans la conversation. Je n'ai pas beaucoup de souvenirs de ma mère, mais celui-ci était toujours présent, ensommeillé quelque part au fond de moi. Ce quelque chose qui s'était manifesté peu après que je sois devenue adulte.

J'avais trouvé treize Grant Hemmars aux Etats-Unis habitant la côté ouest avec l'aide de l'association des enfants orphelins et ma gardienne qui avait toujours pris soin de moi. Bien sûr rien ne me garantissait que mon père se trouvait ne serait-ce qu'encore en Amérique, mais j'avais besoin de le savoir. Alors, alternant petits boulots et escapades dans les recoins des villes, je cherchais, encore et encore, déterminée à le retrouver. Pour qu'il m'explique pourquoi il n'a jamais voulu être là, pourquoi je ne l'ai jamais vu, qu'il me parle de ma mère, s'il savait si j'étais sa fille, ou qu'il avait ne serait-ce qu'un enfant. C'est ce qui m'a conduit aux septième Grant Hemmars de ma liste qui habitait Seattle, ce fameux soir d'avril.

Je l'avais cherché durant deux semaines et est arrivé mais, sans jamais rien trouver. Les démarches que j'avais entreprises ne m'avaient servi à rien, et je commençais à me demander  si c'était vraiment nécessaire que je retrouve mon père. J'avais vécu toute ma vie sans lui, si je ne le trouvais jamais je m'en sortirai, c'est évident. Il y aura simplement et pour toujours un manque, léger, qui ne partira pas.

C'est ainsi que dépitée et découragée, seule, appauvrie par le voyage et acrimonieuse j'entrai dans un drive-in qui, pour l'instant, s'avérait être peu fréquenté.

11 juillet 2024 | WESTBROOK, TOME 1 : Ton sang est le MienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant