Le saut du chat

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Remarque : ce chapitre contient de nombreux termes associés à la discipline du parkour.

Mars 2214

Lockie Bad courait. Il volait au-dessus de la Cité. Un chat n'aurait pas fait mieux. Il effectua un passement rapide sur le bord d'un toit, pour rattérir sur le suivant. Le garçon roula sur l'épaule pour amortir sa chute. Il continua sa course, enchaîna avec un tic tac et se hissa sur le niveau supérieur du toit. Petit promenade matinale. Lockie fit un saut de précision sur la barrière qui entourait le toit de l'immeuble. Un pas après l'autre, il marchait comme un funambule sur son fil. Il regagna le sol, reprit son pas de course. Un bloc carré se dressait devant lui. Il le passa sans trop de difficulté, effectuant un lazy (saut en ciseaux). Lockie prit ensuite son élan, se rapprocha le plus possible du bord et projetta son buste en avant. Le prochain toit était plus loin et sa hauteur moins importante que les deux précédants. Une seconde roulade sur l'épaule : il avait réussi. Le garçon émit un cri de satisfaction, à peine essouflé, l'adrénaline le faisant frissonner.
Assis sur une barrière, en contre-bas, Dastan et Ulrick observait ses acrobaties.

- Impressionnant, admit Ulrick en hochant le tête.

Dastan se contenta de sourire. Il voyait souvent le garçon métis effectué ses sauts. Les enfants de la Cité étaient, pour la plupart, agiles et entraînés à réaliser ce genre de prouesses. Ils devaient être capables d'échapper au danger en toute circonstance. Agillité et rapidité. Mais Dastan devait bien admettre qu'il était particulièrement doué pour son âge. Il n'avait pas plus de 10 ans et semblait réaliser des figures complexes sans le moindre effort. Dastan regardait la cîme des immeubles gris, pensif. Comme Ulrick, il allait sur ses 16 ans. La majorité. Deux choix s'offraient à lui. Rester avec Soguar et les Rairayi. Ou il pourrait quitter le clan, s'il le voulait. En former un autre. C'était une étape importante. Ils avaient le choix. Rien ne pressait. Cependant, Dastan avait déjà commencé à chercher les membres de son futur clan. Il en avait discuté avec Ulrick. Les deux garçons se connaissait depuis longtemp. Unis comme les deux doigts de la main. Il le suivrait. Il le lui avait promis. Dastan avait aussi pensé à Rania. Ils avaient le même âge et étaient, eux aussi, très proches. Le jour où il était arrivé, Rania avait fait le premier pas. Elle l'avait rassuré, consolé. Petits, ils étaient devenu inséparables. On ne pouvait empêcher les tragédies d'arriver. Mais dans le malheur, aussi profond soit-il, Rania lui avait montré qu'il y avait toujours une lueur d'espoir. Le bonheur existait. Le noir et le blanc. Le mauvais et le bon. C'était ça, la vie. Dastan sourit intérieurement. Son besoin d'indépendance et son excitation le firent frissonner.
Entre temps, le garçon métis s'était amusé à redescendre fenêtre après fenêtre. Il se trouvait à environ cinq mètres du sol lorsqu'il remarqua les deux pairs d'yeux fixés sur lui. Il resta suspendu au rebord d'une fenêtre, la tête en bas, intrigué.

- 'Z'attendez quelqu'un ?

Ils secouèrent la tête. Le garçon descendit d'un cran, méfiant. Il plissa ses yeux vert-noisette, comme pour mieux les voir.

- C'est incroyable, ce que tu fais, finit par dire Ulrick. Vraiment.

Dastan hocha la tête pour lui donner raison.

- T'as quel âge ? continua Ulrick.

Le métis sauta et attérit sur le sol. De la poussière s'éleva sous ses pieds.

- 10 piges. Enfin... J'en ai 9, là. Mais dans quelques jours, j'en aurai 10.

Il semblait vouloir se donner de l'importante. Les deux garçons devant lui étaient plus âgés. Ils commençaient à avoir de la barbe, à s'épaissirent. Ils étaient grands.

- Vous êtes dans le même clan ?

Dastan secoua la tête. Il lui demanda quel était le sien. Le garçon leur expliqua que ce n'en était pas vraiment un.

- On s'est rassemblé pour être moins vulnérables. Les plus grands s'en fichent un peu. Ils nous chippent même des trucs, des fois. J'aide Samy au garage, et dès que je peux, je viens ici. Moins je suis avec eux, mieux j'me porte.

Il shoota dans un caillou, les mains dans les poches. Ulrick interrogea son ami du regard. Dastan les présenta. Le garçon s'appelait Lockie. Il lui fit part de son projet à venir.

- Sérieux ? Et vous voudriez que je vienne avec vous. Trop cool !

Lockie sauta sur place, excité comme une puce.

- Je suppose que ça veut dire oui, plaisanta Dastan.

Et de trois. Lockie se renfrogna subitement. Il prit un air sérieux et grave.

- Si c'est un piège, je préfère vous prévenir : je suis beaucoup plus rapide que vous. Et moins gros.

Ulrick leva un sourcil. Ses yeux bruns rougirent. Brillants comme la braise. Lockie recula, un sourire gêné sur la frimousse.

- C'était pour rire, keep calm man. Vous êtes probablement aussi rapides que moi...

Ils éclatèrent de rire.

                                 * * *

Conan Bikoy attendait. A vrai dire, il l'attendait elle. Comment cela avait-il commencé ? Une émeute, suivie d'une course poursuite. Elle aurait pu lui tirer dessus, et ce à plusieurs reprises. Elle n'en avait rien fait. Il aurait évité les balles, de toute manière. Il les aurait envoyé dans une autre dimension. Sans problème. Il aurait pu lui faire perdre un sens, un bras, une jambe. Un doigt, peut-être. A la place, ils s'étaient simplement toisés. Le mépris s'était changé en curiosité. Et puis... Conan chassa les mots qui ne venaient pas d'un geste de la main. Il y a des choses qui ne s'expliquent pas.
Il baissa les yeux. Elle marchait dans la ruelle, le pas soutenu. Elle portait sa combinaison grise, celle que tous les agents de la BDC enfilaient pour chaque service. Ses cheveux blonds étaient attachés en tresse. Dorés. Conan se redressa et sauta sur le sol avec agilité, presque sans bruit. Elle s'arrêta. En un éclair, elle sortit son arme de poing, se retourna et le mit en joue. Conan leva les mains au-dessus de sa tête, en signe de rédition et d'appaisement.

- Je t'ai manqué tant que ça ? plaisanta-t-il avec une voix tendre.

Elle leva les yeux au ciel, soupirant. Elle rangea son arme le long de sa cuisse.

- Tu sais que j'aurais pu te tirer dessus, gros malin ?

Conan s'approcha et entoura sa taille de ses bras.

- Ne t'inquiète pas, douce Ella. Je l'aurais évitée.

Ils s'embrassèrent. Un Irréel et une agent de la BDC, enlacés et s'embrassant dans une ruelle sombre, à l'abris des regards indiscrets ? Un scénario de mauvais film.

Les Irréels - OriginesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant