De mal en pis

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Sacha lève la tête et tourne son visage rougie par les larmes vers la personne qui s'est assise. Il est surpris de voir à ses côtés une petite fille, d'environ six ans, aux longs cheveux roux, aux yeux bleus, au joues constellées de tâches de rousseur et portant un imperméable jaune qui le regarde avec cette innocence qu'on tous les enfants de son âge.

Il essuie son nez d'un revers de la main.

"De...de quoi?" demande-t-il d'une voix chevrotante.

"Est-ce que toi aussi ton papa à un monstre dans le ventre?" répète-t-elle en papillonant des cils.

Il fronce les sourcils.

"Pourquoi tu me demandes ça?"

Elle pointe son petit doigt fin vers les yeux de Sacha.

"Ces larmes là, c'est les même que j'ai eu quand mon papa a perdu ses cheveux." dit-elle.

Il la regarde avec étonnement puis comprend ce qu'elle veut dire.

"Ton papa a un cancer?"

Elle a un sourire triste et regarde devant elle.

"Oui c'est le nom du monstre. Papa m'a dit qu'il le mangeait dans son ventre."

Sacha baisse les yeux.

"Je...je suis désolé..." dit-il.

La petite fille lui sourit et il voit qu'elle a les dents du bonheur.

"Faut pas! Mon papa il m'a dit que si il avait plus de cheveux, c'est parce qu'ils sont partis l'aider dans son combat contre le monstre! Alors moi je me laisse pousser les cheveux comme ça je pourrais aider mon papa." explique-t-elle avec détermination.

Il ne peut s'empêcher de rire devant ces paroles si innocentes.

"Quoi?" fait-elle se demandant pourquoi il rit.

"Non, rien..." repond-t-il avec un sourire.

Elle hausse ses épaules et prend le sac à ses pieds, en forme de tête de cochon, et en sort un cookie aux petites de chocolat. Elle croque dedans avec gourmandise.

"Et toi ton papa?" demande-t-elle la bouche pleine.

Il soupire.

"Ce n'est pas mon papa...C'est ma...ma mère. Elle a Alzheimer."

La petite le regarde avec des yeux ronds et plisse son petit nez en trompette d'incompréhension.

"Lerdamer?" fait-elle.

Il sourit.

"Elle perd la mémoire." explique-t-il.

Elle prend un air pensif puis mord dans son cookie.

"Si elle cherche bien elle pourra la retrouver..."

Sacha rit à nouveau. Cela fait longtemps qu'il n'a pas rit autant.

"Ce n'est pas aussi facile." dit-il avec un sourire.

Elle hausse à nouveau les épaules et finit son cookie. Elle frappe dans ses mains pour enlever les miettes puis, elle tend la gauche à Sacha.

"Moi c'est Amy." dit-elle en souriant.

Il la prend, sa main trois fois plus grande que la sienne.

"Sacha." répond-t-il avec un demi sourire.

Soudain un homme brun en blouse blanche s'approche d'eux.

"Monsieur Menez?" demande-t-il.

Sacha fronce ses sourcils.

"Oui?"

L'homme remonte ses lunettes sur son nez.

"Je suis le médecin de votre mère. Pourrais-je vous parler quelques minutes?"

Il acquiesce, un peu surpris. Qu'est ce que le médecin lui veut?

Il dit aurevoir à Amy d'un geste de la main et suit le médecin. Ils s'arrêtent devant la chambre de sa mère. L'homme soupire.

"Hé bien voilà monsieur Menez, il serait préférable que votre mère quitte l'hôpital."

Sacha ouvre de grands yeux.

"Pardon?"

Le médecin se dandine un peu mal à l'aise.

"Heum nous ne pouvons rien faire pour votre mère, Alzheimer est malheureusement une maladie incurable et il manque des places valides pour de nouveaux patients. C'est un peu délicat à dire, certes, mais je vous conseille donc de la placer dans une maison de repos." dit-il franchement.

Sacha sens son cœur battre à tout rompre tellement il est en colère.

"Non mais vous rigolez?! Ma mère a besoin d'un traitement! Je ne peux pas la placer dans un asile! Vous devez la soigner!" s'écrie-t-il en gesticulant les bras.

L'homme soupire.

"Je suis sincèrement désolé. Mais nous ne pouvons réellement rien faire."

Il se passe une main nerveuse dans les cheveux.

"Moi aussi je suis désolé. Je suis désolé de ne pas avoir assez d'argent pour lui payer une maison de repos, et désolé de ne pas pouvoir lui faire tenir un traitement convenable. Désolé de ne pouvoir la garder chez moi. Désolé de ne rien pouvoir faire." siffle-t-il avec un regard noir, rougie par les larmes.

Le médecin secoue la tête.

"Vous avez une semaine." dit-il pour conclure cette discussion.

Puis le saluant, il part, disparaissant dans un couloir. Sacha s'appuie contre le mur, sentant soudain la nausée lui prendre à la gorge. Il tourne la tête et voit dans l'entre-baillement de la porte, sa mère, regardant la fenêtre de ce regard vide.

C'en est trop.

Il se met à courir. Il court bousculant les gens sans s'en soucier. Il n'en a que faire. Il veut juste quitter cet hôpital. Ses jambes lui semblent lourdes, comme si elles avaient renoncé à la vie. Mais ca ne l'empêche pas de courir, oh non, ça ne l'empêche pas. Il monte dans le bus, et ces vingts minutes lui semblent des siècles.

Il veut seulement quitté cet endroit, retourner chez lui et ne plus rien faire.

Lorsqu'il arrive enfin, il est exténué, ses forces l'ont abandonné. Il monte lentement les escaliers, et ouvre sa porte, tout aussi lentement. Il pose son sac et se dirige vers son canapé noir, où il s'affale. Il reprend son souffle. Il regarde le plafond et sans qu'il le veuille, des larmes viennent de nouveau couler sur ses joues, chaudes mais lui semblant tellement acides.

"Comment vais-je faire maintenant?" se chuchote-t-il a lui-même.

Qu'il aimerait ne plus avoir à pleurer.

Ne plus avoir à prendre des décisions.

Ne plus avoir à souffrir.

Soudain une idée lui traverse l'esprit.

Il tourne la tête vers une étagère. Il se lève, et chancelant, s'y dirige. Il l'ouvre et voit des boites de médicaments alignées. Il regarde pensivement tous ces flacons. Il en prend un au hasard et entend à l'intérieur les pilules s'entrechoquer. Il fait demi-tour et se rassoit sur son canapé. Il regarde la boîte sans rien dire. Il se demande si ce sera douloureux. Il aimerait s'endormir, et rêver, sans plus jamais avoir à se réveiller. Il ouvre le flacon et fait tomber sur sa main une dizaine de ces médicaments. Une dernière larme coule le long de sa joue. Il se dit que c'est sûrement le chemin le plus court et le plus facile vers la paix.

Il a une dernière pensée pour sa maman.

Puis il approche sa main pleine de sa bouche.

La musique de mon âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant