Chapitre 6 "L'orage"

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Quelques jours plus tard, je n'avais pas eu de nouvelles de lui, en fait, nous avions eu beaucoup de travail à la ferme. Père terminait de rentrer la paille, avec mère nous nettoyions la cour à poules, terminées les reprises de coutures des vêtements d'automne et finissaient de nettoyer la maison entièrement. Aujourd'hui, mercredi, je rendais visite à Anne, une fois par semaine, chez elle, nous parlions de tout et de rien, se raconter les cancans du village. Ce sont mes parents qui me proposaient de prendre un après-midi de liberté afin de voir des jeunes de mon âge et d'éviter de rester isolé. Je la passais généralement avec mon amie, car nous pouvions tout nous dire et puis il ne restait guère beaucoup de jeunes filles du même âge qui ne soient pas mariées. J'étais donc prête à partir, j'embrassais mes parents et leur souhaitais une bonne après-midi, mère m'interpellait au moment de passer la porte :

—Fais bien attention au temps ma fille, il fait beaucoup trop lourd cela ne durera pas, si le ciel est menaçant rentre vite !

—Oui, ne t'inquiète pas, je serais prudente.

Je sortais de la maison, je sentais la bouffée de chaleur m'envahissant une fois dehors. Je levais les yeux vers le soleil et lui disait « ho, tu tapes bien aujourd'hui, toi », appuyant sur mon chapeau de paille, je le réajustais et continuais ma route. Il y avait quarante-cinq minutes à pied pour s'y rendre, elle habitait de l'autre côté du village, je ne passais pas par la ville, mais par les petits chemins bordant les champs avoisinants. Personne ne travaillait, la plupart avaient déjà fini leurs tâches le matin dès le lever du jour évitant la chaleur installée depuis quelque temps.

Le ciel resplendissait d'un bleu magnifique, plusieurs pigeons picoraient dans les champs, fraîchement coupés, ils évaporaient un parfum doux et familier. Aux bords de chemins étroits qui bordaient de nombreuses parcelles boisées les mûres étaient abondantes, je m'aventurais un peu, même si je devais faire attention aux ronces qui les entouraient, pour goûter quelques-unes. Plusieurs corbeaux s'envolaient, croassant, pas très content de mon intrusion. Après avoir suffisamment, mangé ces fruits, je décidais de repartir vite parce que je commençais à avoir véritablement très chaud.

Arrivée, je rencontrais André et Albert ses deux frères. Je me baissais pour leur donner une petite bise.

—Alors, les garçons, que faites-vous ? M'abaissant près d'eux.

—On cherche des vers de terres. Rétorquait André, trifouillant la terre avec un bâton.

—Papa a dit qu'on pourra aller à la pêche quand on aura des vers de terres. Me notifiait Albert en me regardant.

—Oui, je vois, je vous laisse à votre occupation alors ! Me relevant.

Je tapais à la porte, Anne ouvrait rapidement, sautant à mon cou, elle était ravie de me voir. Je saluais ses parents, sa mère demandait si j'allais bien, je lui assurais qu'avec un si beau soleil la journée ne pouvait être que magnifique. Nous nous dirigions dans la chambre d'Anne, je pourrais même dire qu'elle m'y poussait. Elle fermait la porte derrière nous, s'affalait sur le lit et demandait :

—Alors dis-moi tout, tu l'as revu ? Tu lui as parlé ? Tu l'as embrassé ?

Prenant place près d'elle, je racontais l'avoir rencontré sur la route du village, non, on n'avait pas parlé, encore moins embrassé. Faisant la moue, elle contestait disant que je n'étais vraiment pas marrante.

—De toute façon, il est sûrement reparti, il ne vit pas ici, tu sais !

Elle se relevait soudain et balançait d'un air moqueur :



—N'importe quoi ! Il n'est pas parti, il travaille chez le père de Jules, tu le sais ! C'est vrai, depuis plusieurs jours, ils n'ont pas eu beaucoup de temps. Hier soir, j'ai pu voir Jules en apportant un sandwich à mon père au champ. Au retour, il m'attendait. Après avoir échangé nos baisers, je n'ai pas pu m'empêcher de poser quelques questions sur son cousin.

—Non ! Mais je n'y crois pas, t'es embêtante, il va croire que je t'envoie en éclaireuse.

Indignée, parce qu'elle venait de me dire, je me dirigeais vers sa fenêtre.

—Mais non, Jules a assuré avoir remarqué son cousin Paul très distrait en ce moment et mon chéri, a pu lui faire avouer ce qui prenait toutes ses pensées. Tiens-toi bien ! Il a dit qu'il ressentait un truc pour une fille d'ici et ce n'était pas clairement ce qu'il prévoyait !

Elle riait bruyamment, et proclamait « Je le savais, je le savais. »

—Comment sais-tu qu'il parle de moi, hein ?

Je la regardais fixement en croisant les bras, indiquant que je ne rigolais pas, car elle pouvait être à deux doigts de me blesser si le seul jeune homme du coin qui me plaisait s'avère être amoureux d'une autre. Elle affichait un grand sourire, ouvrait grands les bras et répondait :

—Il a dit à Jules l'avoir croisé, il y a quelques jours, elle allait au village et ne montrait pas beaucoup de joie quant à le revoir. Alors, si ce n'est pas toi, je ne m'appelle pas Anne. Et tu viens de me raconter la petite rencontre et ta mauvaise mine avec les garçons, laisse tomber, j'en mettrais ma main au feu.

Je restais bouche bée, c'était vrai, il me portait de l'intérêt. On se réinstallait, assise sur le lit, elle racontait vivre le plus bel été, moi, Paul, elle et Jules nous allions former une belle bande et une sacrée famille. Elle déployait tous ses projets en tête, je rêvais, ailleurs, je visualisais son visage, je ne pensais qu'à lui. Si seulement cela pouvait être vrai.


Sa mère toquait à la porte, après qu'Anne lui affirmait, qu'elle pouvait entrer. Elle passait délicatement la tête, me regardait et déclarait :

—Tu devrais rentrer Louise, le vent monte et les nuages arrivent, il serait temps que tu repartes afin d'éviter la pluie.

Je saluais Anne, sa mère et ses deux petits frères, puis arrivée dehors, je faisais signe à son père, il rentrait ses moutons. Au retour, le vent soufflait très fort, les nuages noirs envahissaient le ciel, je sentais la fraîcheur de la brise donnant la chair de poule, pourtant l'air demeurait encore si suffocant. Un coup de tonnerre surgissait, le bruit me faisait sursauter. Les éclairs se faisaient nombreuses, je marchais un peu plus vite, soudain, les grêles se mettaient à tomber, me frappant de plein fouet. Troublée, je m'arrêtais un instant pour voir où j'étais, la pluie qui avait remplacé la grêle ruisselait en abondance, je m'essuyais un peu le visage. La foudre tombait brusquement au milieu du champ,tapant de sa pointe la terre, saisie, je me mettais à courir, j'avais peur et à la fois, j'étais pressée de rentrer enfin chez moi. Le vent couchait les arbres, les feuilles volaient et tombaient à terre, noyées par la pluie qui les recouvrait. Une petite branche passait devant mon visage, voulant l'éviter, je trébuchais et chutais. Le tapage autour de moi était effrayant, pendant quelques secondes, j'étais perdue. Les larmes commençaient à monter, je me relevais, je percevais un bruit derrière moi. Plissant les yeux pour mieux apercevoir ce qu'il se passait sous le déluge, je distinguais Paul, il courrait dans ma direction. Dans son élan, lorsqu'il arrivait, il m'attrapait la main.



—Suis-moi. Hurlait-il dans le boucan que faisait l'orage s'abattant autour de nous. Je resserrais ma main à l'intérieur de la sienne, nos pieds percutaient la terre transformée en boue par l'abondance de l'eau tombée rapidement. Je ne savais pas où il m'emmenait, je me sentais déjà rassurée à ses côtés. Nous bifurquions dans le bois, continuions quelques mètres, je reconnaissais au loin une cabane en bois. Il me lâchait devant la petite porte, la frappait de son pied pour l'enfoncer, il se retournait, me regardait d'une façon intense, me proposait sa main. Nous pénétrions à l'intérieur, il prenait une planche en bois posée au sol et la glissait derrière la porte pour la bloquer. Il se retournait et se mettait à rire, je m'emportais moi aussi dans cette rigolade inattendue. Je ne savais pas si c'était le fait que nous étions tous deux, enfermés ici ou l'évacuation du stress que nous venions de vivre qui laissait place à cette hilarité incontrôlée.


































Ton visage d'amourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant