Prologue

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La main s'empare du flacon.

Le geste suinte d'élégance maladroite, sinon de convoitise voilée. On devine l'avidité dans l'étreinte fébrile des doigts. L'étoffe du gant se froisse. La poigne s'affermit. Un pouce habile ôte le bouchon.

Comme auréolée d'ambre, la fiole épand quelques rais lumineux. Son contenu ? Une invite à l'extase. Sous le derme délicat du poignet, les veines gonflent – serpents mauves et mouvants. La main frémit.

Au clapotis délicieux qui s'élève alors du flacon, on présage un délice extrême.
La main en tremble davantage. Le goulot verse un peu. Sur le cristal du flacon sinue une goutte, dont la vue précipite la respiration. Une bouffée brûlante d'expectative embrase la gorge. Le désir chavire le regard de l'homme, lequel flamboie à présent d'un éclat lascif.
Lèvres entrouvertes sur un souffle voluptueux, l'Empereur goûte la bavure. L'embrasse. Sa langue caresse le cristal, en réchauffe la surface ; son haleine y dépose une brume humide. Délicatement, presqu'avec déférence, il cueille la gouttelette.

Sa bouche s'alanguit au contact de la fragrance puissante, un fourmillement s'y déploie. Une éclaboussure de sensations amollit son être. Chaleur. Délicieuse amertume. L'Empereur halète. Son échine se soulève sous l'assaut d'un frisson. Sans tergiverser davantage, il renverse le contenu dans sa bouche. Oh, extase indescriptible ! Sa chair s'embrase, sa langue ploie de plaisir, ses muscles se crispent.

Son corps n'est rien qu'un feu d'artifice, tout entier offert à la jouissance. Il s'abandonne. La fiole roule de ses doigts gourds. Explose au sol. Les brisures de cristal s'éparpillent : elles font écho à l'âme de l'homme qui se morcelle sous la morsure de l'orgasme. Son identité s'efface, balayée par le plaisir. Tout à coup, c'est le blanc immaculé, celui de la pureté ; de la naissance.
En comparaison de la paix ainsi acquise, la jouissance corporelle fait pâle figure. L'Empereur s'oublie. Se réinvente, se reconstruit, s'endurcit, se renforce. A mesure que le délice ravage son être, une force nouvelle s'empare de lui. L'homme possède la Puissance. La vigueur ruisselle le long de ses nerfs : il la sent et s'en délecte.

Puis, peu à peu, la marée reflue. Comme à regret, le plaisir s'amenuise, laissant dans son sillage quelques frissons. Les derniers. La respiration s'approfondit tandis que le rythme cardiaque s'espace. Avec précaution, l'Empereur déploie ses épaules, que le poids de la jouissance avait courbées. Il fait jouer ses muscles, à l'affut de la moindre sensation, du moindre tressaillement de sa peau pâle.

D'une enjambée, il traverse la pièce pour ouvrir la fenêtre. Les battants claquent sous la force de l'impact. L'Empereur magnifique surplombe alors la ville. Sa stature exsude de noblesse et d'aplomb. Et alors qu'il contemple chaque toit de Chronopolis en affirmation de sa suprématie, un sourire satisfait étire sa bouche. Un sourire carnassier.


MangeRêve [Édité aux Editions Onyx]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant