Vint le jour où le ciel se dégagea enfin. La bise glaciale cinglait le blizzard et le faisait s'enfuir. Il régnait un froid atroce, au dehors. Le soleil brillait néanmoins : ses éclats accrochaient des larmes dorées sur la glace.
Il prit à Opaline l'envie d'exposer son être à la morsure de l'air hivernal.
On était dimanche. Les pensionnaires jouissaient d'une certaine liberté, pour peu qu'ils restassent entre les murs de l'Onirium. La plupart recevait la visite de parents éloignés - Gabrielle voyait sa bisaïeule, une très vieille femme sénile. Quant aux autres enfants, ils goutaient au confort de la bibliothèque.
N'ayant pas plus prétexte à la visite que désir de s'enfermer, la jeune fille s'enveloppa de sa pelisse et se rendit à l'extérieur. Le préau était gris. À peine un rayon de soleil y perçait-il. La neige des derniers jours l'avait couvert d'une boue épaisse, putride et glissante.
Le regard d'Opaline s'accrocha un instant aux entrelacs glacés qui couraient sur la brique. C'était une dentelle étincelante, toutefois, sa délicatesse ne masquait pas l'aspect massif du bâtiment. Elle leva le nez vers la tour de l'horloge.
On devait avoir une belle vue de là-haut : la bâtisse perçait le ciel. Opaline haussa les épaules. Pour autant qu'elle le sût, l'accès n'en était pas défendu.
Elle ajusta les pans de son manteau, accrocha un sourire innocent à ses lèvres -au cas-où- et poussa la porte. Devant elle, un escalier déroulait ses paliers dans l'obscurité. Il paraissait infini.
Opaline s'y engagea.
Bientôt, il n'y eu plus que la cadence de son pas, la brûlure de ses cuisses, le panache embrumé de son souffle. Au fil de son ascension, son esprit se libérait, peu à peu, presqu'avec douleur, de la certitude que rien n'arriverait plus.
Depuis quand ne s'était-elle délivrée de cette résignation ? De cette langueur ? L'ennui l'avait asservie dès les portes de l'Onirium renfermées. Les jours, alors, s'étaient amalgamés en grise routine, si bien fondus entre eux qu'elle en avait perdu le compte. Deux semaines ? Trois ? Quatre.
L'effort la réveillait. Et son cœur, dont le staccato allait croissant, et son inspiration saccadée, brûlante, perçaient les brumes de son âme.
Elle courut les derniers mètres pour franchir le seuil d'un bond. Le panorama la figea sur place.
Derrière les draps de l'Onirium qui claquaient au vent, on distinguait chaque quartier de Chronopolis. Il y avait là, en bas, les usines, clairement indiquées par leur étendard de fumée. Les panaches semblaient distiller leur gris aux alentours.
Plus loin, le fleuve creusait une courbe moirée ; les masures de pêcheurs s'écrasaient sur son flanc majestueux. Et au-delà, à condition qu'on plissât le regard, se dessinaient les halles du marché, les colonnades des résidences, les hautes coupoles impériales.
Opaline promenait un regard gourmand sur ces beautés en contrebas. Comme cela arrive parfois à l'heure des plaisirs intenses, la jeune jouissait d'une perception aiguë d'elle-même. Les mèches folles qui dansaient sur sa nuque, ses pommettes griffées par le froid et ses cils inclinés sous le chatoiement des tuiles : cela ressemblait à la plénitude.
Apaisée, elle offrit son visage au soleil lorsque :
- Belle vue, hein ?
Elle sursauta. C'était Liam. Adossé à un muret, il portait un regard serein, quoique pétillant, sur sa personne. Le garçon enfonça davantage ses mains dans ses poches et lui offrit un sourire :
- D'habitude, je viens seul ici. Mais assieds-toi, je veux bien partager.
- Merci, marmonna Opaline.
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MangeRêve [Édité aux Editions Onyx]
ParanormalVous vous demandez quelle saveur ont les songes ? "A Chronopolis, l'harmonie règne. En surface, tout au moins, car au sein de la ville-Mirage, tout demeure illusion. Les adultes subissent une ablation de l'ombre au nom de la paix. Les rêves des enfa...