Nemo (du latin "personne")

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Longueur imposée : Micronouvelle (1000 mots)

Mot du jour : Nom


« -Qu'est-ce que tu es, exactement ?

-C'est une très bonne question. Mon existence tout entière est un mystère.

-J'aime les mystères.

-C'est une très longue histoire.

-Ça tombe bien, nous sommes autour d'un feu et ni toi ni moi n'allons dormir. »

Ta répartie me fait rire. Je lis dans tes yeux une impatience mêlée à de la curiosité.

« -Très bien. Par où commencer ?

-Par le début.

-Je suis née une nuit de pleine lune alors que ma mère ignorait qu'elle attendait un enfant. J'avais déjà beaucoup de cheveux pour un nouveau-né, mais les miens avaient la couleur de la lune. Mes yeux étaient de la même couleur. Mon père a pris peur et a accusé ma mère d'avoir mis au monde l'enfant d'un démon. Il a choisi de nous abandonner. Les habitants du village ont à leur tour accusé ma mère d'être une sorcière et l'ont chassé du village. Au bord du désespoir, elle a pris la décision de m'abandonner à son tour. Elle m'a emmené au fond d'une forêt et m'a laissé au milieu d'une clairière. Je n'avais pas une semaine d'existence. Je n'avais même pas de nom.

-Attends, ce n'est pas possible. Personne ne se souvient d'autant de détails avant sa troisième année.

-C'est ainsi. Je revois encore son visage noyé par les larmes lorsqu'elle m'a emmené dans cette forêt. Je me souviens du bruit du vent dans les arbres et de la sensation de l'herbe humide sur laquelle j'étais couchée à travers mon lange.

-Comment est-ce possible ?

-Mes sens sont bien mieux développés que ceux des humains.

-Tu n'es pas humaine ?

-Je n'en ai pas les caractéristiques. A part la mortalité.

-D'accord. Par contre, tes yeux ne sont pas gris.

-Lorsque j'ai atteint ma première année, mes yeux sont devenus pourpre.

-Et ton nom ?

-Quoi mon nom ?

-Si tu es devant moi aujourd'hui, c'est que quelqu'un t'a trouvé et t'a élevé. Tu dois bien avoir un nom aujourd'hui ?

-Non. »

Ton visage affiche maintenant une expression confuse.

« -C'est normal que tu ne comprennes pas, moi non plus je n'ai pas compris au début. Tu as raison sur un point, j'ai bien été trouvé. Mais pas par quelqu'un. Par quelque chose.

-C'est-à-dire ?

-La forêt était connue pour abriter les esprits de la Nature, ma mère espérait m'offrir à eux afin de pouvoir mener une vie tranquille. Après qu'elle se soit éloignée, je me souviens qu'un rayon de lumière est apparu au-dessus de moi et m'a caressé la joue. Je serais incapable de t'expliquer, mais je ressentais une présence dans chacun de mes pas, de mes mouvements. J'ai grandi au cœur de cette clairière sans jamais manquer de rien. On m'a enseigné ce que je devais savoir sur le monde extérieur. J'entendais au fond de moi les esprits. On m'a appris à me battre également. Mais je n'ai jamais vu personne. »

Ton regard est de plus en plus confus.

« -C'est étrange je sais. Le jour de ma dixième année, la vérité m'a été dévoilée. J'étais victime d'une malédiction appelée le gène d'Alexandria.

-Alexandria ?

-C'est le nom d'un ancien royaume. Il y a plusieurs siècles, lorsque ce royaume était arrivé à son apogée, les Hommes ont commencé à se détourner des anciens cultes, se perdant dans l'oisiveté, la débauche, l'opulence et les guerres incessantes. Les dieux n'ont pas apprécié et ont décidé de punir l'humanité. Ils ont choisi le royaume d'Alexandria, qui concentrait une grosse partie de l'humanité d'alors et qui était l'un des plus gros carrefours d'échanges culturels et commerciaux entre les différentes populations. On dit que le ciel est soudainement devenu mauve. L'ensemble des enfants ayant regardé le ciel à ce moment-là ont vu leurs cheveux devenir aussi brillant que les lames des épées et leurs yeux prendre la couleur du ciel. Au début, on ne comprit pas qu'il s'agissait d'une malédiction. Les enfants étaient en bien meilleure santé, ne tombaient jamais malade, révélaient des prouesses manuelles et des capacités physiques extraordinaires. Et puis la vérité vint les frapper en plein fouet. Tous les enfants atteints étaient infertiles. Mais un malheur n'arrivant jamais seul, toute personne ayant un rapport sexuel avec une personne maudite, devenait porteur de la malédiction mais sans qu'elle ne l'affecte. Et si cette personne avait des enfants plus tard, elle leur transmettait la malédiction qui se révèlait alors ou restait endormie. Elle pouvait se transmettre ainsi sur plusieurs générations. »

Je décide de faire une pause pour te laisser le temps de digérer ces informations. Les traits de ton visage s'adoucissent peu à peu. Tu sembles moins confuse. Subitement, tes yeux se froncent de nouveau.

« -Jusque-là, je pense avoir compris. Mais ça n'explique pas pourquoi tu n'as pas de nom. Les esprits ne pouvaient pas t'en donner un ?

-J'ai eu la bonne idée de naître un soir de pleine lune. Les enfants maudits nés un soir de pleine lune sont tous placés sous la protection des esprits mais ne peuvent pas avoir de nom. Apparemment, une puissance inimaginable dort en nous. Une puissance qui ne se réveillera qu'à une seule condition : quelqu'un, quelque part dans ce monde, connaît mon nom. Si je la rencontre et qu'elle prononce mon nom, je pourrai alors libérer cette mystérieuse puissance.

-Tu n'as pas l'air d'y croire.

-Aucune personne maudite n'a encore trouvé cette fameuse personne. Il n'y a aucune preuve que ce soit vrai.

-Mais c'est la raison pour laquelle tu es devenue mercenaire.

-Oui. Je peux me déplacer à ma convenance sur les routes, terrestres et maritimes. Et je peux continuer à m'entraîner au combat.

-Pourquoi ? Tu es déjà très forte ! Et puis si tu abrites réellement cette puissance, tu n'as pas besoin de devenir plus forte.

-Je dois devenir plus forte. Je ne peux pas me reposer sur une supposée puissance qui dépend d'une rencontre qui n'arrivera peut-être jamais.

-Cela fait beaucoup de conditions pour une même existence. Qui cherches-tu réellement à combattre ?

-Le destin. »

100 jours d'écritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant