LORENZO ET LA LUNE

- Allez vient Lorenzo, glisse sur la glace ! Dit son ami Nicolaï chaussant ses patins de fortune sur les bords de la mer de Kara.

- Oui j'arrive Nicolaï ! Lorenzo se tourne vers ses deux plus fidèles compagnons, ses huskys sibériens Kuzma et Luba. Vous deux, restez sages, je n'en ai pas pour longtemps. Alors vous gardez bien le traineau et surtout vous restez bien sage.

Lorenzo chausse à son tour ses patins et file sur la mer gelée. La glace est épaisse, à perte de vue, et le ciel bleu sans nuages leur assure une bonne heure d'amusement avant que le soleil ne se couche. Ils glissent tous deux, s'essayent à la course et même tentent quelques figures artistiques pour le jeu. Pendant ce temps, les deux chiens, Luba et Kuzma, abusent d'une sieste bien longue, gardant un œil attentif sur leur jeune maitre. Il est à peine 15h et a luminosité tombe peu à peu. Ils remettent alors leurs chaussures en peau de phoques et l'heure est venue pour nos deux jeunes garçons de retourner au village, à Baykalovsk.

Baykalovsk est un charmant petit village d'une centaine d'âmes, garni de pêcheurs de saumon et de chasseurs de phoques ou d'élans. Mais l'hiver polaire approche, alors il faut trouver de quoi se nourrir pendant la période la plus rude de l'année. Mais, dans les malheurs d'un petit village du nord de la Russie, les bêtes et les poissons manquent. Les bancs de saumons ont fui les rivages de la mer de Kara et les troupeaux d'élans ne sont plus aussi nombreux. Quand la nuit arrive, Lorenzo a l'habitude de se tourner vers la lumière du soir, l'astre qui brille quand plus rien ne s'illumine, celle qui de tout là-haut observe les hommes de son halo blanc de pureté. La Lune est précieuse pour les hommes de ces terres. Il y a même une légende locale qui affirme que la Lune nous répond, quand on croit en son esprit, à son influence sur le monde qui nous entoure. Dans la détresse des hommes de ce village, Lorenzo prie la Lune, pour qu'elle vienne à leur secours, pour qu'elle réponde de cette alerte. Nicolaï son ami se moque toujours de lui quand il parle de ses prières mais, Lorenzo croit fort en cette légende. Tous les soirs, à travers la lucarne de sa Yourte il observe cet astre rond, blanc et bercé par quelques vents polaires.

« Botaboï Luna, encore une fois je te parle. Tu es mon seul espoir pour moi et mes parents. Le poisson et le phoque manquent à nos ventres, le froid est dur et la glace est de plus en plus épaisse. Botaboï Luna, sauve-nous de la faim, aide-nous ». Il espère un jour, que la Lune lui réponde.

Le lendemain, ses parents partent pour la journée, vont de plus en plus loin pour pêcher ce qu'ils peuvent trouver ou chasser le peu de bêtes encore présentes sur ces terres. Lorenzo se sent coupable de ne pas trouver de quoi nourrir sa famille. Dans cette adversité, tout le monde doit pouvoir faire quelque chose. Alors, il apprend à sa manière l'art de pêcher le poisson. Il creuse à l'aide d'une corne de renne un trou dans la glace à une centaine de mètres de la Yourte familiale. Il y plonge ensuite son bout de bois sur lequel il a ajouré de la graisse de poisson. Le saumon de cette région du monde, reculé de tout, est particulièrement friand de la graisse de leurs congénères. Alors il patiente, le soleil face à lui pour le réchauffer, une peau de yak sur le dos pour conserver la chaleur de son corps. Après une longue attente, sans se douter du nombre d'heures passées à attendre la moindre touche, il voit au loin les silhouettes de ses parents, pas de poissons dans la besace et encore moins de phoque sur le dos. À l'approche de l'hiver, les recettes sont de plus en plus minces. Même ce petit garçon de 8 ans très débrouillard ne parvient à ramener de quoi diner ce soir.

De retour dans leur Yourte, sa mère lui prépare une tasse d'eau chaude, garnie de branches d'herbes sauvages ramassées durant les courts jours d'été. Lorenzo boit sans se plaindre de la faim. Son père lui fait comprendre que les temps sont durs, plus durs que prévu. L'idée de changer de banquise n'est plus exclue.