Chapitre 2

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Journal de Sibylle, 13 mars 1997

Comme dit le proverbe : le hasard fait bien les choses (Samuel me dit que c'est la nature mais si je dis la nature, ce que je veux dire ne veut plus dire grand-chose). Enfin, la nuit dernière, j'ai rencontré une fille géniale : elle s'appelle Camille. Elle est plus vieille que moi (je ne sais pas encore de combien) mais elle doit être dans les âges à Samuel, dix-sept, dix-huit. En fait, je lui ai parlé parce qu'elle a arraché ma chaîne de mon cou pendant qu'on dansait. Je l'ai senti parce que cela m'a brûlé le cou (ce n'était pas grave...). Au départ, j'ai hurlé parce que j'y tiens à cette chaîne (c'est Sam qui me l'a offerte pour mes seize ans) mais elle a fait tellement vite pour me la retrouver malgré tout le monde qui dansait que je me suis trouvée un peu bête quand elle me l'a tendue. Je lui ai souri et je lui ai fait signe de me suivre vers le comptoir. Il fallait que je lui offre un verre pour me faire pardonner.

Elle a commandé un gin vodka, moi, un rhum canadien pour changer (je prends toujours cela). Et on a commencé à parler. En fait, elle est très gentille : elle t'écoute et elle connaît plein de trucs. On a dû rester bien une demi-heure à papoter et je me suis dit que cela ferait plaisir à Samuel de la connaître. Il est un peu pareil sauf qu'il parle autant qu'un mur, lui.

* * *

Journal de Samuel, 13 mars 1997

La soirée était destinée à ressembler à celles de d'habitude. J'ai mis un quart d'heure à trouver une place pour me garer sur le parking caillouteux de la discothèque. Pendant ce temps, Sibylle m'a annoncé tout le programme qu'elle avait prévu pour la soirée. Cela ne servait à rien de l'écouter car jamais elle ne le respectait. Enfin, une fois descendus, il a fallu que nous fassions la queue qui s'étendait sur une centaine de mètres. Sibylle ne s'arrêtait pas de parler et ne prêtait même pas attention au fait que je ne l'écoutais pas. En vérité, je regardais les visages des autres et je n'y voyais qu'adolescents pré-pubères et gamins déguisés en adultes.

Combien de temps cela a-t-il duré ? Je ne sais pas. Nous avons fini par passer, main dans la main, la petite porte ordinaire pour pénétrer dans l'obscurité du long couloir qui menait à la salle principale. Même de loin, on pouvait sentir le martèlement faire vibrer l'air sur la poitrine avant même que le tympan n'entende le moindre son. En tenant la main de Sibylle, je sentais qu'elle trépignait déjà.

Je me suis assis dans un coin. J'ai regardé Sibylle se déchaîner sur la musique techno. Elle m'étonne toujours par sa fraîcheur qui ne semble jamais la quitter. Elle était jolie, tournoyante, balançant ses cheveux de droite et de gauche. La musique ne cessait de marteler son rythme frénétique et Sibylle semblait collée à ce tempo. Elle avait les yeux fermés, se laissant guider par la danse, les déhanchements successifs, désordonnés, le balancement des seins, des bras. Elle ne se souciait plus que de la sensation des corps contre corps. Elle ne faisait plus qu'un avec les autres, inconsciente d'elle-même.

J'ai détourné la tête comme pour chasser cette idée. Je ne l'aime pas, cette idée. J'ai laissé mon regard se balader de visage en silhouette. Les mines étaient toutes dans leur grande majorité fatiguées, les yeux explosés par le clignotement incessant de l'éclairage. Soudain, j'ai vu un visage. C'était un visage doux aux pommettes rosies par la chaleur. Deux yeux étonnement ouverts et grands, regardant dans le vide. Le nez ni grand, ni petit, avait une forme particulière, indescriptible qui s'accordait à merveille au reste. Des lèvres étroites, pourpres. Puis la silhouette a disparu.

Quelques minutes après, Sibylle est revenue vers moi, trempée de sueur, les cheveux en pagaille :

« Tu veux bien te décrocher cinq minutes de cette table et venir avec moi dans le fond ? »

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