Chapitre 3

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Journal de Laurie, non daté

Je ne sais plus comment cela s'est décidé la première fois. Je crois que c'était que l'on réfléchissait à se voir encore, tous mais qu'on avait envie de changer d'air aussi. Je crois que c'est Sibylle qui a dû parler de cette maison. Je me rappelle que Sam avait fait une drôle de tête au début mais, comme d'habitude, s'était laissé convaincre par les arguments et autres promesses de sa chère et tendre... Toujours est-il que voilà... Ça a commencé comme cela... Nos séjours dans cette demeure. Ça a commencé comme cela...

***

Journal de Camille, 25 avril 1997

Nous sommes partis de bonne heure à deux voitures, celle de Laurie et la mienne. En fait, la voiture de Laurie n'est pas vraiment à elle, c'est seulement la seconde voiture de ses parents. Au départ, Sibylle avait proposé de prendre la sienne car de toute façon, elle avait une voiture mais pas le permis. Elle aurait voulu qu'on l'utilise. Cependant, Laurie a tellement insisté pour imposer la sienne que l'on a fini par céder de peur qu'elle nous pique une crise de nerfs. Je crois, qu'en vérité, Laurie se sent assez mal à l'aise : elle a l'impression d'être entretenue par le groupe.

* * *

Journal de Laurie, non daté

Nous sommes arrivés aux abords de la propriété. Sibylle s'est jetée contre la vitre de la voiture pour voir quelque chose au travers de l'ondée orageuse qui déversait son déluge sur le bitume. Avec la chaleur, les eaux torrentielles s'évaporaient en formant un voile si épais que l'on pouvait à peine distinguer les feuillages et les fossés. Samuel qui m'avait remplacée au volant, a jeté un œil dans le rétroviseur pour vérifier que Camille et Alexandre nous suivaient toujours. D'un seul coup, il a freiné : roues bloquées, les pneus ont glissé sur le gravier. Derrière, il y a eu le même crissement de caoutchouc : une haute grille presque invisible sous le rideau de pluie se dressait devant le capot.

« J'ai failli ne pas la voir... »

Sibylle qui n'avait rien vu, s'est retournée et a jeté un regard étrange, inexpressif, comme si elle ne comprenait pas. Samuel est sorti de la voiture et sous la pluie battante, il s'est approché du portail. Il a eu quelque difficulté à trouver la bonne clef. Enfin, il a réussi à ouvrir et nous sommes entrés dans la propriété. Derrière, Camille a suivi. Sam est ressorti une nouvelle fois pour fermer la grille.

Nous avons roulé lentement. De l'entrée, on ne voyait rien que, de chaque côté, des arbres qui se dressaient, immenses, première ligne de bois profonds et sombres. L'allée était caillouteuse, mal entretenue, avec de multiples ornières. Mais bientôt, nous sommes arrivés en vue de la bâtisse, surgissant de derrière le bois. En même temps, l'orage a disparu et a laissé le soleil reprendre sa place.

La maison de la tante à Samuel n'en était pas une : c'était un château, au moins un manoir. Sa tante n'y habitait plus depuis la mort de son mari, il y avait plus de dix ans mais elle ne s'était jamais résolue à le vendre. Quand Samuel lui avait demandé s'il pouvait y passer un week-end, elle avait accepté avec une très grande joie. Il était son neveu préféré et le fait qu'il ait besoin d'elle était une bénédiction. Elle n'avait jamais eu d'enfant et Samuel était celui qui lui avait été confié le plus souvent dans une période assez trouble pour sa sœur. Elle le considérait un peu comme son fils et d'ailleurs, Samuel la considérait un peu comme sa seconde mère. La personnalité de cette femme semblait l'avoir davantage marquée et fascinée que celle de sa propre mère. Quant à son oncle, Samuel disait qu'étant donné qu'il n'avait qu'à peine une dizaine d'années lorsqu'il était décédé, les clichés qu'il avait de lui relevait plus des images d'Epinal que de souvenirs réels et précis. C'était ce dernier qui avait baptisé les lieux en mémoire de ses origines britanniques et parce qu'il nourrissait une passion pour Milton : Lost Paradise.

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