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« Fragiles, sensibles, abîmés, cabossés, timides et maladroits,

vous avez parcouru des chemins difficiles mais avez dans le coeur la force et les richesses de ceux qui ont souffert,

et puis cette tendresse que tant d'autres n'ont pas...  »

( V. H. SCORP)




Tout avait commencé là, à cet endroit où il errait en ce moment même dépourvu d'âme. Il perça la foule d'un pas lourd pour s'installer au comptoir. Arrivé, il demanda à la serveuse un verre d'alcool fort. On voyait bien que cet être était comme qui dirait mal en point ; pas coiffé, débrayé, le regard vague. Il était seul face à son désarroi.

- C'est tout ce que vous prendrez ? Il la regarda d'un air dépité et hocha la tête. Très bien monsieur, lui dit-elle un sourire embêté dessiné sur ses lèvres.

La musique transperçait ses tympans pour aller s'imprégner dans son crâne. La serveuse lui posa son verre.

- Tenez.

- Merci, réussit-il à lâcher.

Une fois la serveuse repartit à ses tâches, il prit aussitôt une gorgée de sa boisson. En relevant la tête, il vit son reflet derrière les rangées de verres de collection. Il comprit les regards inquiets de la serveuse. Lui même avait pitié de lui. Son regard était livide, alarmant, ses yeux envoyaient des signaux de détresse que tout le monde ignorait, croyant qu'avec le temps sa douleur s'estomperait. On dit que le temps arrange les choses, calme nos maux les plus douloureux, mais combien de temps cela lui prendrait-il encore ?

En manque d'air depuis ce jour là, il avait l'impression de vivre en permanence en apnée. Il était dorénavant en manque de temps, son coeur ne tiendrait bientôt plus. Il lui fallait à tout prix reprendre une grande inspiration d'air pur.


Il jouait avec l'anneau qu'il avait au doigt se remémorant ce jour fatidique où elle le lui avait glissé, ce jour qu'il ne pourrait oublier. C'était un jeudi de printemps ensoleillé, mais un jeudi différent des autres, du moins pour eux. Il allait être uni pour toujours à la femme qu'il aimait tant, celle pour qui, il donnerait sa vie sans hésiter une seule seconde. Quand il la vit arriver dans sa longue robe blanche de princesse, le temps s'était arrêté de couler et son cœur avait oser manquer quelques battements. Sa beauté était une arme qui le rendait fragile, il ne pouvait lui résister et plus que tout, il l'aimait. Il se souvenait de tout dans le moindre détail, la forme de ses courbes, son sourire, leurs vœux échangés, les paroles du prêtre et ce moment où tous les deux avaient dit « Oui, je le veux ». Ce jour où il était tellement heureux d'épouser enfin cette personne qui savait comment le faire vibrer en un regard, lui semblait tellement loin d'aujourd'hui.


Il sortit son paquet de clope, en prit une pour la mettre à ses lèvres et l'alluma. Il dégageait cette allure de mauvais garçon, ce genre de garçon mystérieux, énigmatique, mélancolique. D'une certaine façon, ça le rendait attirant. Et il rendait curieuses un groupe de demoiselles assises non loin de lui sur un canapé fauteuil en vieux cuir. Malgré son apparence négligée, il avait du charme, mais il s'en foutait car plus que tout, plus que ces regards aguicheurs, il avait besoin d'aide. Besoin d'elle. Il ferma les yeux et tira sur sa clope. Il repensait à chaque instant qu'il avait pu passer auprès d'elle, se demandant comment il en était arrivé là, comment tout cela avait-il pu arriver.


Il se souvint de la première fois qu'il avait posé son regard sur elle. Il ne savait rien d'elle et pourtant, il l'aimait déjà d'une façon incontrôlable et inimaginable. Oui, il en était tombé fou amoureux comme cela arrive une fois tous les siècles. L'amour avec un grand « A », c'était celui-là, c'était elle. Vous savez, chaque fois qu'il la voyait , son souffle s'accélérait, son cœur résonnait en lui tellement fort qu'il avait l'impression que celui-ci allait s'échapper de sa cage thoracique, il avait des crampes au ventre, les mains moites, et il était pris à rêvasser et à soupirer grandement. Elle était son repère, son pilier. Sans elle, il n'était plus qu'un être perdu au milieu de cette foule pleine de vie. Elle et lui, c'était une évidence.

Ils s'étaient rencontrés dans ce même bar. Il se souvenait de tout. Le bar avait organisé un karaoké, comme tous les jeudis soirs. Son groupe d'amis avaient l'habitude de traîner là quelques soirs par semaine, pour décompresser et essayer de choper quelques nanas. Enfin, lui n'était pas là pour ça. Il venait d'arriver dans le bar à toute vitesse, percutant sur sa route une jolie blonde aux cheveux longs. Elle était grande, élancée. Deux mèches blondes venaient entourées son visage rosi par la chaleur de la pièce et sûrement aussi, dû à ces quelques bières qu'elle avait déjà ingurgité. Les yeux verts de cette charmante créature avaient rencontré ses yeux. Il réussit à reprendre ses esprits, s'excusant de l'avoir renversée. Suite à cela, il l'avait aidée à se relever et lui avait payé un verre pour dédommagement. 

Il venait de plus en plus souvent dans ce bar, espérant chaque fois, la rencontrer elle. Elle lui souriait à chaque fois qu'elle le voyait. Au bout d'un certain temps, et surtout prit d'un élan de courage, il se décida à aller demander le numéro de la blonde. Celle-ci avait accepté, pour son plus grand bonheur.

Leur idylle continuait à suivre son cours.


- Serveuse, s'il-vous-plaît ? La même chose, réussit-il à demander tout en regardant son verre vide.

- D'accord, je vous apporte ça.


Il se retourna pour regarder autour de lui, il vit deux jeunes couples d'amis non loin à une table. Ils riaient aux éclats. Ça lui rappelait tellement de choses. Il détourna le regard. Au temps où ils traînaient souvent ici, le bar s'appelait « En voiture Simone », il était beaucoup plus convivial. Mais depuis, il avait changé de gérant et de nom. C'était d'ailleurs dans ce bar qu'il lui avait demandé sa main. Ce bar était le lieu de leur rencontre, cela lui semblait normal de faire sa demande dans un lieu cher à leurs yeux. Elle disait que c'était originale comme demande et pas romantique du tout mais ça la faisait rire. Qu'est ce qu'il aimait l'entendre rire... Il donnerait n'importe quoi pour que cette douce mélodie parvienne jusqu'à ses oreilles une dernière fois.


La serveuse vint lui poser ce qu'il avait commandé et partit prendre la commande des deux arrivants au comptoir. Il soupira et but son verre cul sec. Il regarda sa montre, une heure cinquante-sept. Ça faisait déjà un moment qu'il était assis là à se morfondre, laissant sa peine l'enivrer. D'une certaine manière, cela lui faisait du bien de rester assis là à noyer sa peine dans ces quelques verres. Même s'il s'avérait que celle-ci sache nager...

To fall in loveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant