Partie 1

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Elle lâcha tout. Son verre debout sur le comptoir. Le bord de bois, auquel elle s'était accrochée. L'écran, qu'elle n'avait cessé de fixer avec espoir. Un espoir vain, elle l'avait su dès l'instant où elle avait posé les yeux sur l'écran. Mais ce sentiment était l'un des plus difficiles à combattre, il était trop nécessaire à la survie, alors elle l'avait laissé l'envahir. Elle avait espéré, sans savoir quoi. Et d'un coup, l'espoir était parti. Plus d'espoir, juste cette vive douleur qu'elle avait su attendre, car il avait été certain qu'elle viendrait lui faire mal. Pourtant elle ne savait pas ce qui la heurtait le plus : l'espoir, maintenant disparu, ou la douleur face au spectacle auquel elle venait d'assister.

- ...a son vainqueur, Lexa Woodson !

Clarke parvint à bouger, malgré la rigidité de ses membres. Elle sortit sans réfléchir. Elle ne voulait pas penser. Elle avait trop peur d'avoir mal, plus mal qu'elle ne souffrait déjà. Elle marcha en sachant où aller, entendant presque les secondes s'écouler, celles qui restaient avant qu'elle ne s'effondre. On l'attrapa par le bras, la forçant à s'arrêter, perturbant son mécanisme. Cette action ne faisait pas partie de ce qu'elle devait faire.

- Clarke, je suis vraiment désolé.

Son camarade et ami, Monty. Ils se voyaient à la fois à l'école et dans les champs. Encore ce matin ils riaient aux éclats dans le champ, leur lieu de travail. Mais pas maintenant. A vrai dire, Clarke doutait pouvoir rire à nouveau. Elle s'en sentait incapable. Elle offrit à Monty un faible hochement de tête, lui faisant ainsi comprendre qu'elle l'avait entendu, et qu'elle lui en était reconnaissante. Elle dégagea son bras de l'emprise de son ami et reprit sa marche. Elle avait une chose à faire. Son seul but. La seule raison pour elle de rester debout.

Elle ignora les effusions de joie se faisant entendre plus loin tandis qu'elle descendait la petite allée qui menait à sa maison. Elle ignora le silence qui s'imposait immédiatement à son passage. Ils étaient hypocrites, elle le savait. Ils étaient heureux. Ils voulaient sourire, fêter l'événement. La tristesse de la situation ne dépassait pas leur joie. Ils étaient joyeux malgré tout. Ils n'avaient pas tort, elle le savait aussi. Parmi la peine et la fatigue qui se promenaient dans le district chaque jour, il était mieux pour le moral de tous de trouver du positif à la situation. Clarke ne le pouvait pas. Elle avait une raison plus que justifiée, ils le savaient.

Elle tira vers elle la poignée de porte rouillée. La maison était un peu vieille, mais c'était la sienne, et la grande cabane était quand même en meilleur état que la plupart des maisons dans le district. Clarke aimait qualifier sa maison de cabane, car c'était tout de même une maison de bois, et que depuis la fenêtre de sa chambre la jeune femme pouvait voir un immense champ de blé s'étendre à trois petits pâtés de maisons de là. Au son de l'ouverture de la porte, des pas firent grincer le plancher, et une femme ne tarda pas à se présenter dans le long couloir joignant l'entrée à la cuisine. Son regard se posa sur Clarke. Elle attendait. Clarke se figea à la vue des yeux pleins d'espoir de sa mère. Le même espoir que Clarke avait ressenti, à la différence du fait que sa mère ne suivait pas les Jeux. Elle était trop anxieuse pour les regarder, alors Clarke lui contait ce qui se passait chaque jour, quand elle rentrait à la maison. Cette année, la routine qu'était devenu le récit des Jeux s'était vu ajouter une certaine tension. Et aujourd'hui, c'était la fin de cette tension. Il n'y avait plus de raison d'être anxieux, plus de raison d'avoir peur. Plus de raison d'espérer. C'était fini.

Toujours sans réfléchir, elle prononça distinctement ces mots :

- La demi-finale et la finale ont eu lieu aujourd'hui.

Les yeux de sa mère s'écarquillèrent. Abby espérait que les cris de joie résonnant dans le district les concernaient.

- Il a été en finale. Il est mort.

Le visage de sa mère se décomposa. En une seconde, le statut de son fils était passé de « en vie » à « mort ». Ses yeux se perdirent dans le vide. Des spasmes l'animèrent, et son corps ne tarda pas à trembler. Abby était une femme forte. Mais pas aujourd'hui. Elle ne le pouvait pas. Pas après la mort de son fils, qui répercutait celle de son mari.

Clarke s'approcha, entoura sa mère de ses bras, sentit les larmes de celle-ci tomber sur son col. Elle retenait sa mère qui perdait ses forces au fil des larmes. Clarke attendit que sa mère se redresse, éponge son visage trempé avec sa manche, et parte s'isoler dans la cuisine, pour monter dans sa chambre. Le regard vide de toute pensée, elle laissa son corps grimper les escaliers. Elle referma la porte derrière elle, et quand sa main lâcha la poignée, le cœur de Clarke explosa, déclenché par l'électrisation de son cerveau par l'éclair flash du corps de son frère au moment même où la vie l'avait quitté.

Elle ne pouvait plus stopper les larmes et les spasmes qui secouaient son corps. Elle étouffait ses cris pour ne pas être entendue par sa mère. Elle devait se montrer forte. Elle avait essayé, après la mort de son père. Elle avait essayé d'être forte pour son frère. Sa mère avait été la plus forte des deux, mais Clarke n'avait pas voulu lui laisser deux enfants sur les bras en plus du deuil, alors elle avait pris sur elle et était devenue une adulte, prenant des responsabilités qu'un enfant ne devait pas avoir à prendre. Elle avait treize ans quand son père est mort. Elle ne pensait pas voir son frère mourir cinq ans plus tard. Elle aurait préféré aller se battre dans l'Arène à sa place, mais il en avait été décidé autrement.

Elle se laissa tomber sur le plancher grinçant. Allongée, elle ne bougea plus. Ses yeux gonflés et rougis laissaient couler des larmes silencieuses le long de ses tempes. Sa bouche légèrement entrouverte laissait sortir l'air qui avait eu du mal à entrer. Elle ne parvenait pas à y croire, espérant se réveiller du cauchemar qui l'étouffait. C'était vrai pourtant, la douleur le prouvait. Elle avait bien réalisé le fait que les événements s'étaient produits, du début à la fin. Ce qu'elle n'arrivait pas à croire, encore moins à comprendre, c'était comment cela avait pu se produire.

Comment Lexa avait pu amener son frère en finale pour le tuer.

Victoire nébuleuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant