Au-delà des rêves (En pause)

Chapitre 6: Blanc sur noir

Joshua les voyait toujours...

Porté par ses sens, il vit défiler une scène plus qu'irréaliste.

Enserrant les deux jeunes gens, les reptiles de bois prirent la direction du Grand Arbre, serpentant sur l'herbe verdoyante de la clairière.

Lorsqu'ils arrivèrent aux pieds du « Roi », ils tracèrent un cercle où ils déposèrent la jeune fille. Les racines vivantes allèrent se placer sur le tracé, s'enroulèrent, se chevauchèrent et s'entortillèrent. Elles formèrent, au-dessus du mystérieux dessin, une sorte d'abri de bois et d'écorce d'une dizaine de mètres de haut et d'environ quatre de large.

Le jeune homme ouvrit les yeux en sursaut : le corps de la créature l'enserrait toujours... il allait finir par suffoquer !

— Lâche... moi...

La racine, qui lui lacérait toujours atrocement les côtes, le souleva dans les airs. Il restait à peine assez d'air à Joshua pour émettre une plainte sourde.

Liz... où es-tu ?

On le porta au sommet de la tour de bois. Là-haut, un trou béant laissait entrer les rayons du soleil. Alors... la créature lâcha prise.

Le vide, une chute... un voile d'ombre vint obstruer la vue trouble du jeune Allen.

Lorsqu'il se réveilla, Joshua était allongé à l'intérieur de l'étrange tour de bois qu'il avait pu contempler d'en haut. À ses côtés, il arriva à distinguer les traits de son amie. Celle-ci était assise, tête baissée, comme plongée dans une sorte de transe. Le jeune homme remarqua alors un cercle... tracé dans la terre, avec d'étranges formes à l'intérieur. Lizbeth posa la main sur le contour du dessin...

Qui s'illumina en un instant.

Tandis que Joshua restait figé de stupeur, l'adolescente se pencha un peu plus sur le tracé.

La lumière blanche l'intriguait, bien évidemment, mais il y avait autre chose... Liz se sentait presque... appelée. S'allongeant sur une moitié du cercle, elle se sentit soudainement emplie d'une profonde sérénité...

Elle était... calme. Étendue ainsi, une énergie bienfaisante se rependait en elle.

Alors qu'il usait de toute sa volonté pour garder les pieds sur terre, Joshua s'efforça de ramener l'adolescente à la réalité.

— Liz... Liz !

Il se prit la gorge à deux mains, surpris par le ton de sa propre voix. Rauque et éraillée, on aurait dit qu'elle n'avait plus servi depuis plusieurs jours. Joshua redressa la tête et vit que son interlocutrice ne réagissait pas à ses appels. Le tracé se faisait de plus en plus net. Quelques instants plus tard, des silhouettes apparurent sur le gazon frais.

Les dessins lumineux... reprenaient chaque détail de leur physionomie.

— « La place de chacun vous sera révélée », récita Lizbeth.

Soudain, comme si ces quelques mots lui avaient redonné conscience, la jeune fille se releva brusquement faisant tomber Joshua à la renverse.

— Nous y sommes !

— Lizbeth ! Mais qu'est-ce qui t'as pris de... ?!

Il se tut en prenant conscience de ce qu'elle venait de dire.

Nous y sommes ?

Une lumière dorée éclaira l'abri.

— L'Œil du Géant... souffla Lizbeth le regard vide.

Immense, au sommet de leur cocon de bois.

Le feuillage de l'Arbre s'était écarté.

On entrevoyait un soleil... noir et lumineux...

À la fois sombre et aveuglant.

Devant leurs yeux ébahis, le ciel changeait de couleur à une vitesse hallucinante. L'éclat du jour et l'ombre de la nuit semblèrent... fusionner. Le spectacle avait quelque chose de beau et de terrifiant à la fois. Les deux amis, pétrifiés, virent le rayonnement noir s'intensifier, comme l'éclat jaillissant du sol se faisait de plus en plus puissant. La lumière et les ténèbres cohabitaient en ce lieu.

Joshua comprit soudain qu'il assistait à une éclipse.

Des inscriptions apparurent sur le contour du cocon de bois.

« Une journée d'été, à son levé, l'Œil d'or retrouva la Prunelle d'argent. L'une née de la nuit froide et l'autre d'un brasier de lumière, leur croisement fit naître le Crépuscule. Alors, l'Aube, occupée à repeindre les cieux, rencontra son complémentaire. Ils bâtirent ensemble un royaume sur lequel ils veillèrent tour à tour, attendant ce fameux jour. Celui où ils confiraient leurs terres et leur lame à un homme fort. Un ayant vu son cœur de pierre brisé pour en extraire le diamant. Un dont les larmes seraient d'argent et d'or. »

La jeune Lizbeth, qui observait paisiblement le spectacle, glissa ses doigts dans l'une des poches de sa robe. Un sourire amusé passa fugitivement sur le coin de ses lèvres. Elle sortit un pendentif argenté qu'elle contempla presque amoureusement. Joshua la regarda faire sans un mot. Il alla porter la main à la bretelle de son sac, le posa à terre, et en extirpa le carnet que sa mère lui avait offert, caressa sa couverture de cuir, fit glisser les pages sous ses doigts et regarda scintiller son stylo doré. Il entraperçut un étrange dessin sur l'une des pages qui défilaient. Intrigué, il la retrouva et ouvrit de grands yeux en comprenant ce qui y était représenté. Une idée folle s'imposa à lui. Une idée sans le moindre sens ni aucune logique...

Une idée tout à fait adaptée à leur situation.

Il récita le texte dans un murmure un peu hésitant :

— « Gardiens du début et de la fin des temps, du lever comme du coucher, à la jonction de vos ellipses, à la croisée des chemins d'antan, s'ouvre un monde où règne la pensée, au-delà du temps, de la réalité. Le jour de cette brève éclipse, nous serons là. Le cycle recommencera pour une nouvelle ère, une nouvelle ronde, dans cet univers allant au-delà des rêves, au-delà du monde. »

Un éclat lointain, les étoiles noires s'éteignant dans un ciel d'encre blanche, il y vit dessiné le sourire de sa mère. Voilà l'image qui imprégna la rétine de Joshua avant qu'il ne ferme les yeux.

***

L'air était lourd et humide. Le jeune homme reposait sur une terre molle. Entrouvrant les yeux, il sentit sa conscience vaciller. La nuit était tombée et, malgré sa vue trouble, il arriva à distinguer une silhouette particulièrement sombre devant lui. Allongé au sol, Joshua ne parvenait pas à bouger. Lizbeth, elle, se tenait debout dans l'épais brouillard qui enveloppait les alentours. Pendant une fraction de seconde, la lumière de la lune se réfléchit en un éclat métallique dans la main droite de l'adolescente. Cette dernière disparut dans la brume et un grondement sinistre retentit. En portant son regard au ciel, Joshua comprit que quelque chose clochait, car le fait même qu'il puisse l'apercevoir était étrange.

La jeune fille revint, posa son sac au sol, en ouvrit la plus petite poche et y rangea un objet de forme allongée. Encore une fois, l'éclat lunaire se refléta sur ce qui semblait être de l'argent. Joshua peinait à réfléchir, sa tête était lourde, au moins autant que ses paupières. Celles-ci se refermèrent pour ce qu'il ne crut être que quelques instants.