Au-delà des rêves (En pause)

Chapitre 9: Nous y sommes

Le lendemain, aux petites heures du jour, de nouvelles couleurs furent révélées par le soleil levant. Joshua s'éveilla d'un sommeil lourd et profond.

Allongé, il prit peu à peu conscience de son environnement, distinguant tout d'abord à travers ses paupières la lumière orangée qui traversait les lieux, puis l'agréable chaleur ambiante. Enfin, il ouvrit les yeux et vit une porte. Large, imposante, un bois en apparence solide, celui d'un chêne d'une bonne centaine d'années, de solides gonds en cuivre, une peinture marron très foncé... Un mal de tête affreux, une vue embrouillée... Le jeune homme se massa doucement les tempes. Il devait garder son sang-froid, recentrer son esprit.

Où suis-je ?

Il reposait sur une surface douce et chaude. Il respira lentement, à grandes bouffées, pour se calmer. Un parfum fugitif lui passa sous le nez et la douleur disparut aussi vite qu'elle était arrivée... Sa vue s'était éclaircie.

D-Des coussins... ?!

Perdu, il bondit hors du lit dans lequel il reposait et se mit à observer nerveusement l'endroit, la pièce, où il avait atterri.

Du mobilier aux allures moyenâgeuses, dont quatre grands fauteuils marron aux accoudoirs élégamment sculptés, attira son attention. Dans un coin de la grande salle, ils formaient un cercle autour d'une table à café où était disposé un ensemble en porcelaine de tasses de thé et de petites assiettes. Le tout devait valoir une fortune. En approchant un peu plus, le garçon sentit sous ses pieds un revêtement de tissu incroyablement touffu. Sa couleur était identique à celle du plancher de bois qui l'entourait, il ne l'avait donc pas remarqué au premier coup d'œil. Un cliquetis se fit entendre, le jeune homme leva les yeux vers la porte qu'il avait aperçue un peu plus tôt. La poignée pivota sur elle-même. Affolé, Joshua se précipita sous le lit. De là où il était, les draps qui pendaient sur le bord du matelas lui offraient une bonne cachette. En penchant légèrement la tête, il put voir le battant s'ouvrir très lentement.

Un homme étrange apparut, une grande échalote parée d'un smoking. Ne prenant pas la peine d'entrer, le fin géant se pencha suffisamment pour scruter la pièce derrière ses petites lunettes rondes. À son air contrarié, l'adolescent comprit qu'il s'attendait à le trouver au lit. Il resta totalement immobile, ventre à terre, le cœur tambourinant sur le plancher au rythme de ses folles pulsations. Des gouttes de sueur perlèrent sur son visage pour aller s'écraser au sol dans un clapotis sourd déjà trop bruyant pour les nerfs du jeune homme. Le mystérieux personnage referma la porte. Il l'entendit traverser lentement ce qu'il devina être un couloir. Toujours sur le qui-vive, il attendit plusieurs minutes avant de finalement se permettre un profond soupir.

Les questions se bousculaient dans son esprit en ébullition. Quelles étaient les raisons de sa présence ici ? Comment l'avait-on transporté ? Sortant de sa cachette, il se prit la tête entre les mains et se mit à faire les cent pas.

Qu'est-ce que je fais ici ?! Quels sont cet endroit et cet homme ? Comment... ?

Il se prit brusquement le pied dans les plis de la carpette aux pieds du lit. Tentant de se rattraper, il saisit la première chose qui passa à sa portée : une lampe de chevet.

Il fut rattrapé de justesse par une main squelettique... à forte poigne.

À ce contact, un frisson lui parcourut l'échine. Une autre mandibule vint lui prendre la lampe des mains pour la reposer sur la petite table à côté du lit.

L'air de rien, l'homme l'assit délicatement au bord du matelas avant de lui faire face.

Mais... ?

- Vous êtes enfin réveillé...

Par où est-il... ?

- J'ai failli partir à votre recherche, vous savez... ?

- Qui êtes-vous ? Où suis-je ?

Le curieux personnage le fixa un bon moment, puis détourna la tête, semblant sérieusement réfléchir. Après d'interminables secondes, durant lesquelles Joshua eut beaucoup de mal à garder les idées claires, il porta sur lui un regard perçant et parla avec un grand sourire.

- Appelez-moi Marrow...

***

Un majordome. C'est un majordome qui...

- Est-ce que tout va bien ?

L'homme venait de lui expliquer qu'il travaillait en ces lieux comme « responsable du service » et qu'on lui avait demandé de veiller sur un jeune adulte que le vieux maitre de maison aurait retrouvé inconscient au cours de l'une de ses... tournées nocturnes. Il l'aurait ramené seul, jusqu'ici, en attendant son réveil.

L'adolescent était resté silencieux depuis que son interlocuteur s'était présenté. Il se frotta les yeux et secoua un peu la tête.

- Oui, pardon. Ça...

Que pouvait-il répondre d'autre ?

- Ça va... en quelque sorte.

Non, rien n'allait bien sûr, mais... quelque chose le tracassait tout particulièrement. Il avait un poids sur la conscience, un manque, un vide. Il savait avoir oublié quelque chose d'important sans pouvoir se souvenir de quoi il s'agissait...

Les paroles de l'homme le heurtèrent soudain de plein fouet.

- Qu'y a-t-il, Monsieur Allen ?

- Vous avez bien dit que l'on m'avait retrouvé inconscient cette nuit ?

- Oui, Monsieur. Le maitre de maison vous...

- Et le maitre de maison a-t-il vu une autre personne ? À côté de moi, ou pas bien loin... Elle ne pouvait pratiquement pas marcher.

- Je ne suis au courant de rien, M. Allen. Si vous le souhaitez, je peux vous amener jusqu'à son bureau ?

- Pardon ?

Une seconde. M'a-t-il... ?

- Au maitre de maison, je peux vous amener jusqu'à lui pour...

- Non. Comment m'avez-vous appelé ?

- « Monsieur » ?

- Non ! Enfin... après cela ! Vous venez bien de m'appeler par mon... ?

Le saisissant brusquement par les épaules, l'homme en costume le fit se lever. Pris au dépourvu, Joshua n'eut pas le réflexe de résister.

- En soi, c'est simple...

Il le guidait en direction de la porte en gardant un sourire chaleureux... et profondément agaçant.

Joshua voyait dans ses yeux bleus une lueur de malice.

- Je le sais, c'est tout !

- Vous vous moquez de m...

- Nous discuterons un peu plus tard ! Allez prendre une marche, vous semblez en avoir besoin.

Il le poussa doucement à l'extérieur de la pièce, dans le couloir d'où lui-même était venu... la première fois du moins.

Il claqua la porte, et un bruit de serrure se fit entendre.