Chapitre 1

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Ils étaient tous les deux, face à face, yeux dans les yeux. L'un d'entre eux avait une épée longue dans sa main droite et un bocle, un petit bouclier rond, dans sa main gauche. Son adversaire, grand et robuste, avait un fléau dans sa main droite et une petite masse dans l'autre. Ils se regardèrent comme ça pendant quelques instants, probablement à réfléchir.

La pression montait, ils allaient devoir s'entretuer, là, dans le sable brûlant et maculé de sang de l'arène dans laquelle il avait passé toutes ces années à se battre pour sauver sa peau.

Son opposant se mit à faire tourner son fléau à coté de lui en s'approchant lentement, il savait que le jeune gladiateur qu'il affrontait n'était pas à prendre à la légère, ça fait maintenant un bon moment qu'il est ici, à enchaîner les victoires. Son corps musclé et parsemé de seulement quelques cicatrices malgré la quantité de combat qu'il a mené, montre bien que c'est un adversaire redoutable.

Le jeune combattant fit un pas en avant, puis se mit à charger à toute vitesse vers l'imposant guerrier en face de lui, se jeta en avant pour glisser sous le fléau qui lui frôla le visage et en profita pour taillader le mollet de son adversaire à l'aide de son épée. Ils se firent à nouveau face à face, les yeux dans les yeux, le sang coulant de la plaie ouverte du grand gladiateur. Ce combat n'allait pas être de tout repos.


*4ème jour du 4ème mois de l'année 3441 après l'Âge Sombre.

– Gwargox, où es-tu passé, bon sang ?! Cria Hovnir, la mère de Gwargox.

Plutôt inquiète, le soleil se couche et son fils a passé toute la journée dehors, alors seulement âgé de sept ans, il n'est pas encore un jeune homme suffisamment robuste pour survivre la nuit sans la protection d'un adulte apte au combat.

Car à Yvnnar, leur village situé au Sud-Ouest de la Terre de Hommes, les nuits sont dangereuses. Les prédateurs sont surtout nocturnes à cause de la chaleur qui règne de jour, seul quelques scorpions et serpents rôdent en journée, avec un entrainement de base il est possible de déjouer leurs attaques mais gare à leur poison qui est mortel. C'est pourquoi dès l'âge de six ans, il a été jugé bon de donner une dague peu coûteuse mais suffisamment tranchante pour qu'un jeune enfant puisse se défendre contre ces petits prédateurs lorsqu'il leur vient l'envie de s'aventurer hors du village, bien que déjà à cet âge là, certains d'entre eux fabriquent leurs propres armes avec des branches en se servant de cette même dague pour tailler des lances ou faire des lances-pierres.

Même s'ils reçoivent une éducation en survie dès l'âge de quatre ans et leur première arme dès l'âge de six ans, ils n'ont tout simplement pas encore la force de survivre la nuit, c'est d'autant plus inquiétant que récemment trois enfants ont disparus rien qu'en ce début d'année, dont le fils de son amie Greyta qui avait presque dix ans. Ce genre de drame est malheureusement une chose courante car les conditions de vie sont difficiles, les dangers nombreux et malgré toutes les préventions mises en place pour protéger les enfants, chaque année de jeunes filles ou garçons meurent...

– Je suis là maman, j'arrive ! cria Gwargox au loin, le soleil se couchant derrière lui.

– Pardon madame d'avoir été en retard, nous avons perdu le sens du temps dans notre cachette...

C'est Muznir, le plus jeune fils de Greyta et meilleur ami de son fils, âgé de huit ans c'est un jeune garçon robuste avec une bonne éducation.

– Vous savez à quel point c'est dangereux dehors, il est important de ne pas traîner la nuit, il pourrait vous arriver quelque chose et je ne m'en remettrais pas ! S'exclama la mère avec de l'inquiétude dans sa voix tremblante.

Après avoir fait ses excuses à sa mère, Gwargox dit au revoir à son meilleur ami qui partit chez lui, sachant ce qui lui arriverait vu l'heure tardive. Il avait passé une excellente journée même s'il avait failli mourir une fois... ou peut-être deux. Heureusement, grâce à une force plutôt anormale pour son âge, il s'en sortait bien. Apparemment il devait cette force à son défunt père, Bordok, qui était un guerrier redoutable de son vivant, mais mort lors d'un raid sur son village il y a de cela quatre ans. Il ne s'était pas laissé faire car il avait emporté le meneur du raid et sept guerriers avec lui avant de mourir, mais le père de Muznir aussi était mort ce jour-là, ainsi que bien d'autres. Sa mère, Hovnir, n'aimait pas trop parler de son regretté époux, ils s'étaient aimé dès le premier regard quand elle n'avait encore que quatorze ans et que Bordok venait d'arriver dans son village après avoir été libéré d'un esclavagiste quelque part dans l'Est du pays à quelques jours de marche. C'était les guerriers d'Yvnnar qui avaient été envoyé par le Chef pour une mission visant à libérer les enfants esclaves après avoir entendu parler des atrocités qui leur étaient infligés. Mais Gwargox ignorait tout cela, sa mère lui a évidemment caché le triste passé de son père, ne gardant de lui que le mari aimant qui les a aimé et protégé jusqu'à la fin.

Un époux vaillant et redoutable venant d'on ne sait où et un fils courageux et fort qui ne cesse de se mettre dans le pétrin. Hovnir était une mère aussi fière qu'inquiète, n'ignorant pas les petites aventures de son fils, elle n'en savait pas toujours la totalité, car le jeune garçon se cachait bien de lui avouer ses péripéties les plus risquées. Même si elle voyait en lui le courage et la force de son défunt père, elle ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter quand ce dernier vagabondait en dehors du village.

Aujourd'hui même, il avait failli chuter d'une falaise, lorsque avec son ami Muznir, ils avaient décidés d'atteindre le sommet le plus rapidement possible, le perdant devant manger une de ces crottes que laissent les Rôdeurs, séchant au soleil le jour et répandant une odeur âcre et putride. Quoi de mieux pour motiver ces enfants pleins de vigueurs que des défis stupides stimulant la force, la vitesse ou l'agilité ? Heureusement que son meilleur ami, toujours présent à son grand soulagement, l'avait rattrapé de justesse par le pied, alors que sa prise avait cédé lors de son ascension, laissant le temps à Gwargox de s'agripper avant de reprendre la course.

Et c'est suite à cet événement qu'il faillit mourir une deuxième fois. Ayant perdu de peu à cause de sa chute, il avait un gage à accomplir et quel gage... Celui-ci lui avait refilé une bonne indigestion qu'il subit une bonne partie de l'après-midi avant de s'en rétablir péniblement, à force de vomir, ce qui lui valu d'ailleurs son retard.

Sain et sauf, il était de retour chez lui, sa mère lui avait préparé un bon repas. Ce n'était pas toujours facile de manger à sa faim selon les périodes de l'année, l'hiver était rude et les ressources alimentaires difficiles à obtenir. Comme ils vivaient suffisamment au sud du pays, le grand froid ne durait pas bien longtemps, trois mois tout au plus, alors que dans le nord de la Terre des Hommes, il pouvait durer jusqu'à six mois. Trouver des bêtes ou conserver le grain et la viande était difficile lorsqu'il gelait pendant plusieurs mois, au point où certains villages en venaient à en piller d'autres pour récupérer les vivres et ainsi permettre à ses résidents de tenir l'hiver. D'autres encore, plus pacifiques, tentaient bien de se nourrir de racine et des animaux domestiques, mais parfois ça ne suffisait pas, ainsi on pouvait parfois retrouver des villages fantômes dans le nord, anéantis par le froid et la faim.

Néanmoins, à Yvnnar, l'hiver comme l'été étaient tout aussi dangereux l'un que l'autre, car si l'hiver était froid et rigoureux, l'été était chaud et suffocant, desséchant la terre et tarissant les cours d'eau, les bêtes se cachaient pour sortir la nuit et chasser se faisait uniquement par groupes de guerriers-chasseurs aguerris accompagnés de seulement quelques apprentis.

A l'heure actuelle, ils étaient dans la période de transition de saison, l'hiver terminé, l'été allait pointer le bout de son nez, la saison était chaude mais encore assez douce, suffisamment pour que les bêtes ne sortent pas de jour, mais pas assez pour empêcher les courageux enfants d'aller s'amuser.

Le repas préparé avec amour par Hovnir fut englouti en quelques minutes.

– Tu avais une vraie faim de loup aujourd'hui, qu'as-tu bien pu faire pour avoir autant faim ? s'interrogea celle-ci.

– Oh tu sais, comme d'habitude, on a joué aux guerriers avec des bâtons et puis c'était très bon aujourd'hui, tes repas sont les meilleurs ! s'exclama Gwargox pour cacher sa bêtise qui l'avait complètement affamé.

– Hm, allez, maintenant tu vas te laver parce que tu sens étrangement mauvais, file.

Sans attendre plus longtemps, le jeune aventurier alla se laver, utilisant les boules parfumées provenant d'un village de l'ouest, apparemment composées de différentes huiles et herbes, ces boules qu'ils appellent "savon" ont le pouvoir de nettoyer le corps en plus de le faire sentir bon. Quant au système de douche, c'est un mécanisme fabriqué à partir de planche et de métal, permettant d'accumuler l'eau de pluie ou d'en ajouter soi-même. Rudimentaire mais efficace, il n'y avait pas d'autres moyens de se laver quand la rivière était inaccessible à cause de la nuit ou des conditions météorologiques.

Une fois lavé et propre, le jeune garçon alla se jeter dans son lit. Certes ce n'est pas le plus confortable des lits, mais il est chaud et doux malgré le fait qu'il sente les lattes de bois sous son matelas fin et usé. Depuis que son père est mort, sa mère a du mal à ramener de l'argent à la maison, elle travaille dans les champs mais aussi comme tisseuse, ça ne rapporte pas beaucoup mais c'est suffisant pour survivre.

Hovnir arriva pour border son fils, lui caressa tendrement la joue, c'était le petit homme de sa vie, que deviendrait-elle sans lui, se disait-elle de temps à autre surement comme toutes les mamans. Elle déposa un baiser sur son front et laissa son fils dormir paisiblement.

Le Damné - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant