Sur le port d'Aston tombait la brume, qui se déposait lentement sur les mâts des bateaux, cachant au loin l'horizon d'un océan immense. La purée de pois était commune à cette période de l'année dans le royaume de Kriston, grisant les visages, aveuglant les yeux et attristant les cœurs. À vrai dire, le climat du royaume n'avait jamais été très accueillant et les quelques rares jours de beaux temps au mois de Juillet donnaient lieu à des orages violents accompagnés de pluies soudaines et diluviennes. En clair, il ne fallait pas vouloir y passer ses vacances.
Aston était une ville plutôt populaire du sud de Kriston, à l'embouchure d'une rivière calme se jetant dans un océan immense. De ce fait, elle bénéficiait de plages magnifiques et de mouettes, et son port était l'un des plus beaux du continent, regroupant des caravelles immenses et des marchés traditionnels. Il s'agissait d'une place à l'architecture pittoresque où jouaient de pauvres enfants, courrant après les pigeons au rythme des musiciens de rue et de leur accordéons.
Dans cette ville se tenaient quelques commerces, dont un magasin de thé et d'épices, une épicerie, et un hangar de poudre à canon.
Le propriétaire du hangar, un homme très riche du nom de Spencer, était très influent en ville malgré son mauvais caractère et sa violence typique d'ancien bagnard, se faisant nommer "le Maître" par la population qui le regardait avec des yeux apeurés et changeaient de trottoir en le croisant. De son union avec une jeune femme de la capitale, lors de ses études, était né un jeune homme, qu'il avait appelé Fay en l'honneur de son propre père.
Fay était un petit garçon lorsqu'il quitta la ville pour lancer un petit commerce de thé dans une ville du Nord. Or, les guerres et les problèmes familiaux s'accumulant, il fut obligé de fermer boutique, se rabattant sur la vente de parfum à la sauvette pour survivre et envoyer tous les mois une pension à sa famille.
Un jour, alors qu'il vendait un parfum de Lilas à un vieux citoyen pour sa fille malade, celui-ci se fit attrapper par le gouvernement : en quelques jours, son commerce illégal fut entièrement démantelé. On le mit sur un bateau en direction de Kocepanh, une île perdue au milieu d'un lac immense, sur le très pauvre et dangereux continent d'Icoa. Ce fut le début de l'exil pour Spencer.
Le climat de Kocepanh était bien pire que celui de Kriston, bien que celui-ci fut en soi médiocre. Autour de l'île nageaient des dauphins géants qui le soir, affamé par l'odeur du sang des hommes morts d'épuisement, rôdaient autour de l'île en poussant des cris stridents rendant impossible toute tentative de sommeil. C'est dans la fatigue, les piqûres de moustiques et la saleté que Spencer travaillait tous les jours, portant sur son dos des tonnes de poudre à canon qu'il n'avait pas le droit de toucher, humant les odeurs des dépouilles à moitié dévorées par les lynx.
Revenu dans la vie civilisée, sa barbe longue et sale, ses yeux creusés par la fatigue, il prit le premier train pour retrouver sa femme et son fils qu'il n'aspirait qu'à revoir. Mais le doux visage de sa femme entouré de cheveux d'ébène s'était éteint en même temps que les torches de Korcepanh et la flamme de son coeur. Il prit son fils avec lui et les deux s'installèrent dans une petite maison dans le coeur d'Aston.Fay grandit dans cette atmosphère portuaire, entouré de la douce odeur d'iode. Il avait des cheveux noirs comme ceux de sa mère, des yeux marrons aux teintes de vert et un léger duvet. Souvent, il s'installait à sa fenêtre et rêvait en regardant les vagues qui l'emmèneraient loin de sa vie, loin de son père silencieux et ses mains sèches qui remuaient la poudre. Il pensait parfois à sa mère, mais les seuls souvenirs qui l'animaient était ceux du nourrisson qu'il était blotti contre le sein maternel dans une chaleur agréable. Chaleur qu'il semblait retrouver lorsque, allongé sur le sable mouillé, il se mettait à rêver aux contrées immenses qui existaient et qu'il ne voyait pas, et aux peuples qui les habitaient.
C'est ainsi qu'à 19 ans, après avoir atteint l'âge adulte, il emprunta à son vieux père une partie de son argent et s'acheta une belle caravelle d'occasion, ainsi que quelques livres qui lui permettraient d'étudier avec passion la navigation. Savoir lire à Kriston était un privilège, et il en profita pour planifier son voyage tout en apprenant un maximum sur les technologies navales. Il partirait en Février de l'année suivante.
C'est ainsi qu'il marchait dans les ruelles du port, sa valise à la main. Il aurait certes du prendre avec lui des armes ou un équipage, mais il s'agissait pour lui d'un voyage personnel, d'une quête spirituelle. Il avait dans son bagage des costumes de rechange, un journal et un petit pistolet aux reliures dorées très pratique. Les cargaisons de nourritures avaient été chargées préalablement dans le navire.
Il s'approcha de sa propriété et ouvrit une des portes, posant sa valise sur un petit lit installé au fond de la cale. Ce n'était certes pas le confort de sa maison d'Aston, mais c'était toujours mieux que rien. À côté du lit simple trônait un petit portrait de famille, peint à l'époque de l'innocence où son père souriait et le coeur de sa mère battait. Au dessus, une lampe à huile lui permettrait de lire quelques livres durant les longs jours de voyage en mer qui l'attendait. Il avait même prévu une bassine au cas où les roulis de la mer le rendent malade.
Revenant sur le pont, il vérifia les stocks discrètement avant de faire voler la corde qui ammarait le bateau. Faisant lever la voile, il fit sonner la cloche qui annonçait le départ imminent d'un navire. Une jeune fille se retourna, un chien aboya, mais la rue restait bizarrement silencieuse dans le soleil levant. Son père n'était pas venu, il devait être à la taverne, en train de boire pour oublier. Il regarda la terre de Kriston s'éloigner de plus en plus, devenir grosse et floue, les bâtiments disparaître. Couvert par le cri des mouettes, il s'écria "Adieu, Maman".
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Chroniques de Fay
AdventureDans le monde imaginaire d'Iyoris, Fay, un jeune aristocrate, part en voyage autour du monde.