Le chant d'un Rugknau, sorte de long oiseau rouge aux ailes de feu, se fit entendre dans tout le palais et atteint les tympans de la Princesse qui venait à peine de se réveiller. Elle sauta du lit d'un vigoureux coup de hanche et enfila son jupon, tout en admirant la beauté du massif rocheux faisant face à la fenêtre de sa chambre.
Elle eut longtemps rêvé de cette vue sur les hauts pics des montagnes d'Upristek, couverts de neige de l'été à l'hiver, et après maintes et vaines batailles avec son père le Roi, elle obtint enfin le droit d'échanger sa chambre dans le verger du château contre celle de la servante. Certes la pièce était bien plus pittoresque, il n'y avait ni véranda ni balcon, mais l'air s'y trouvait plus frais et le soleil y pénétrait plus facilement. La pièce qu'elle occupait avant tournait dos à l'astre, que la façade du gigantesque château cachait, de sorte qu'il y régnait toujours un froid presque mortuaire, qu'un feu de bois ne parvenait pas à réchauffer.De toute évidence, la Princesse n'avait jamais été attirée par les artifices, qu'elle préférait délaisser au profit du confort et d'ambitions plus naturelles. Il lui arrivait souvent de tâcher ses belles crinolines de la boue dans laquelle elle s'amusait à nager, au grand désespoir de son père le Roi, et de sa mère, du temps où elle vivait encore.
Ele coiffa ses longs cheveux blonds en sa natte habituelle, recouvrant ses paupières d'un fard légèrement rosé qui mettait en valeur ses yeux bleu océan. Elle était Hestaki, personne n'en doutait point, étant donné qu'elle correspondait aux critères de beauté du Royaume d'Hestanek. En vérité, ces dit critères étaient toujours susceptibles de varier, étant donné qu'ils changeaient toujours en fonction du physique de la femme la plus populaire de la Cour. Celle-ci se voulait être Ponuma (Madame, en Hestani) Aksakov, aussi surnommée la "Noble bâtarde", à cause de ses origines parfois floues. Sa peau légèrement basanée qui contrastait avec le blond de ses cheveux faisait penser, à tous les nobles de la cour, qu'elle venait du Royaume d'Histanek, à l'Ouest, où l'on prétendait que tous les hommes avaient la peau marron claire et allaient pieds nus, tant la chaleur était insupportable. Il était évident qu'elle ne put venir d'un pays de Juaika, car les êtres humains n'y étaient pas même considérés comme tels, leur peau étant noir de jais et couverte de poils. Elle aurait été de ce fait surnommée la "Noble guenon", ce qui lui aurait valu le poids d'insultes et de moqueries régulières de la part des autres membres du pouvoir, et la menace constante de la mort, surtout dans les régions où la "Chasse aux singes" exaltait les Hestakis. Pourtant, malgré ce statut très ambigü et ce surnom ridicule, la Noble Bâtarde était appréciée de tous et jouissait d'une popularité certaine : elle se voyait souvent offrir des robes somptueuses et était très courtisée, bien que vieille fille.La Princesse descendit les escaliers, vêtue de sa traditionnelle robe à rubans aux motifs typiques de son pays. Elenia, la domestique, jeune Histanienne qui avait proposé ses services à la famille Royale afin de payer les traitements de son père, trop onéreux en Histanek, passait le balais tout en croquant dans une orange. Entendant les pas des chaussures de verre de la Princesse sur les marches, elle cacha soudainement le fruit dans une des poches de son tablier, et exécuta une révérence maladroite. "Bonjour, Ponuma". La Princesse Avdeeva lui offrit son sourire. "Où allez vous aujourd'hui ? Il ne faut point rentrer tard ce soir, votre père a prévu un dîner avec Ponuma Aksakov, et quelques Ambassadeurs, si nous pouvons les appeler ainsi, des pays simiesques. Ils nous viennent tout droit de nos territoires conquis en Juaika". Avdeeva se sentit mal en entendant l'adjectif simiesque ; elle ne se faisait point à l'idée que l'on pu traiter ainsi de pauvres personnes que l'on avait jamais réellement écouté, et pour qui l'on se permettait de décider et tergiverser sur des questions qui les concernent. Elle décida donc d'éviter à tout prix ce repas où un malaise s'installerait sûrement au bout de quelques minutes, et, sortant des jardins et effleurant le minaret où l'eau coulait à flot, s'aventura dans les rues somptueuses de la capitale.
Fay aperçut la terre et fit aussitôt tomber l'ancre dans les abysses de l'océan. La perspective de découvrir une nouvelle géographie et une nouvelle culture le rendait terriblement excité, et il ne pouvait se contenir plus longtemps, il sauta ainsi sur les chemins pavés. L'odeur des différentes épices parvint à ses narines, et il s'empressa d'acheter, chez un marchand du port aux prix bas, une spécialité renommée, un bloc de poisson frit au curcuma . Croquant dedans, mâchant lentement tout en léchant presque sensuellement la douce couverture de curcuma, il flâna dans mes rues pendant environ une heure, avant d'être soudainement dérangé par un cri strident qui le tira de sa rêverie.
Avdeeva courrait dans la rue, poursuivie par trois domestiques. Elle avait malheureusement exprimé son désir de fuite à un jeune domestique noir, qui l'avait trahi, et elle s'était retrouvée chassée par toute l'équipe des gardes du palais. Elle ne pouvait malheureusement rien contre les lances et épées des soldats, mais essayait tout de même, comptant sur la force de ses jambes pour la transporter dans un endroit sécurisé où elle pourrait se cacher. Elle se sentait comme une véritable souris, que l'on aurait attrapé pour faire bouillir, comme le voulait la coutume. On couperait bientôt sa queue pour la transformer en porte bonheur, et son cadavre serait donné aux nouveaux mariés comme promesse d'une bonne entente maritale. "Saleté de singe !" elle pensa contre son gré, s'enfilant dans une rue, bousculant le jeune Fay sur son passage. "C'est toi qui devrait être en cage, pas moi.".
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Chroniques de Fay
AdventureDans le monde imaginaire d'Iyoris, Fay, un jeune aristocrate, part en voyage autour du monde.