Punition

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   Piteuse, j'attendais en silence la sentence. Depuis la petite démonstration d'Estelle, tout le lycée était au courant que nous avions usé de nos pouvoirs.

    J'aurai pu m'en sortir sans dommage, c'était vrai, mais la vie étant mal faite, j'avais réagi au quart de tour, scellant ainsi mon destin : quand les pimbêches de notre classe avaient vu la table foncer sur elles, les télékinésistes du groupe nous l'avaient renvoyée. Le proviseur ayant jugé qu'il s'agissait de légitime défense, elles s'en étaient sorties sans dommage. En revanche, je ne pouvais dire la même chose pour moi, ce que je trouvais tout à fait honteux ! Quand ce maudit meuble avait failli nous percuter, j'avais dû utiliser mes dons de vengeure pour nous sortir Estelle et moi de ce mauvais pas. Or, du point de vue de notre bien aimé directeur, j'étais tout autant fautive que mon amie dans cette affaire d'utilisation de pouvoir !

   Coincées dans le bureau surventilé, nous ne pouvions qu'attendre. Le proviseur semblait prendre un malin plaisir à faire durer le suspens, il soupirait exagérément, croisait ses doigts avant de les reposer à plat sur son bureau. Il m'ennuyait au plus haut point, je savais de toute façon ce que je pourrais dire à mes parents : légitime défense ! Pour le moment en tout cas, je devais faire bonne figure et accepter sans broncher la punition qui ne tarderait pas à venir. Nous savions d'expérience qu'il ne servait à rien de contredire cet homme. La plupart des professeurs s'accordaient à dire qu'il n'aimait pas les enfants, ce que je trouvais risible étant donné son travail.

   Une fois son concert de soupirs et autres formules toutes faites du genre "mais que puis je bien faire de vous !" terminé, il nous donna enfin sa décision.

   -Pour avoir pratiqué une forme de magie inacceptable dans cet établissement, je vous condamne, Estelle Pilonnier et Justine Depame, à deux heures de travaux d'intérêt général chaque soir du trimestre. Ma décision est irrévocable.

   Et après ces mots emplis de sagesse (ou du moins c'était ce qu'il devait croire) il nous congédia. Luttant contre un gloussement nerveux sans doute dû à la grandiloquente risibilité de ses paroles, je me dépêchai de sortir de la pièce. Croisant le regard empli de larmes d'Estelle, je compris qu'elle aussi se retenait aussi fort qu'elle le pouvait de ne pas exploser de rire, ce qui ne m'aida pas dans ma lutte.

   Une fois en dehors du bâtiment, je commençai à me demander si je pouvais réellement en vouloir à ma meilleure amie de m'avoir fourrée dans cette situation. Certes, elle avait eu une très mauvaise réaction et j'en subissais les amères conséquences. Néanmoins, je la savais très sensible aux moqueries et aux provocations, cela faisait partie de sa personnalité.

   Peu après, sur le chemin des bus, elle engagea la conversation  comme si de rien n'était. Comprenant que, telle à mon habitude, je n'arrivais pas à lui en vouloir bien longtemps, je décidais de passer l'éponge et de me consacrer également à l'injuration (l'un de nos mots inventés préférés) de notre cher proviseur tellement détesté.

   En trois semaines, j'avais eu le temps de comprendre à quel point cette punition, qui semblait pourtant assez légère, était en réalité un calvaire détestable. Par exemple, en ce moment j'étais en train de décoller des chewing-gum sous des tables. Même si, ô joie ! ils étaient facilement arrachables !

   A force de me baisser, j'avais le dos en compote, mais le pire restait quand même la punition en elle-même. Décoller des chewing-gum.... sérieusement ! J'étais en train de décoller des chewing-gum !

   Je commençais à glousser  nerveusement, puis de plus en plus fort, pour finalement me tordre de rire par terre. Alertée, Estelle qui partageait mon calvaire depuis trois semaines s'approcha de moi. Quand elle me vit, elle s'arrêta brusquement. Un éclair d'incrédulité traversa ses yeux noisette, en même temps, je devais paraitre un peu folle. Alors que je commençais à me calmer, la tête qu'elle fit me replongea direct dans mon délire.

   Un gloussement échappa alors à mon amie. En dix secondes, elle m'avait rejointe par terre et nous nous adonnions à une belle crise d'hilarité. Cela faisait tellement de bien !

   Bien évidemment, c'est ce moment-là que choisit notre surveillant pour venir inspecter notre travail. Cela n'aurait pas été drôle sinon. L'apercevant, je me tus aussitôt, et repris mon travail. Malheureusement, Estelle ne l'avait pas vu arriver et n'avait donc pas réalisé le danger qu'elle encourait.

   Après dix bonnes minutes d'engueulade sévère, elle fut renvoyée à sa place avec pour conséquence de rester une demi-heure de plus dans cette salle maudite. L'allongement de sa punition semblait la mettre hors d'elle et je préférai éviter de lui parler. Je me sentais vraiment idiote pour le coup.

   Enfin sortie de l'établissement, je me concentrai sur mon pouvoir de vengeure. Comme d'habitude, les supplications et les propos décousus emplis de véhémence s'imposèrent à moi. Tirant ma force de ces appels à la vengeance, j'utilisai la vitesse que me procurait mon état pour rejoindre mon domicile en une poignée de minutes au lieu d'une trentaine.

   Mes parents m'ayant très clairement fait comprendre qu'ils n'allaient pas se donner la peine de venir me chercher après mes heures de punition, j'étais obligée de rentrer à pied. Cela m'avait permis d'éxacerber mon don, ainsi que de comprendre en quoi il consistait réellement. Je commençai d'ailleurs à avoir mal à la tête, les voix ne se taisaient jamais, c'était vraiment pénible. Cependant, j'étais obligée de les endurer si je voulais en tirer partie et y puiser ma vitesse.

   Une fois rentrée chez moi, je jetai un coup d'œil à l'heure, 18h 30. Estimant qu'il n'était jamais trop tard pour prendre un goûter, je m'emparai subrepticement de quelques pains au lait en me dirigeant vers ma chambre. Ma tonne de devoirs n'attendait que moi, et, j'avais fini par accumuler du retard. Il était grand temps que je me reprenne !

Le portail des ombres [En Pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant