Le parc des merles

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Clara trouve le lac facilement puisqu'il est énorme et se trouve juste derrière le paté de maisons. Elle marche sur le trottoir qui le longe, retrouvant le petit panneau indiquant le nom du village qu'elle avait remarqué en arrivant. Une envie soudaine et folle de fuir lui vient. L'envie de marcher tout droit, sans s'arrêter et sans savoir où aller. Partout mais pas ici. Peut-être bien qu'elle pourrait passer de bonnes vacances autre part, mais ici, vu son grand-père, elle est maintenant presque sûre que ce sera un enfer. Sans rien à faire, dans un endroit nul. Mais là-bas, dans les champs, sur l'autoroute, elle ne pourrait même pas survire deux jours. Il faudrait un plan. Et puis non, même pas, il faudrait juste qu'elle arrête de penser un peu, pendant deux semaines, pour lui éviter d'aller errer et mourir en pleine campagne. Si elle doit mourir, il faut au moins qu'il y ait du wifi.

Elle ne se rappelle plus dans quelle direction il faut aller. Comme il n'y aucun panneau pour le lui indiquer, elle tourne sur la droite, vers les arbres, vers le parc peut-être. Les roseaux, les racines dans l'eau du lac, plient sous le vent en faisant un petit bruit incessant. Ils subissent ce qu'ont leur fait subir. Ils doivent obéir et se soumettre au vent, bien qu'ils tentent de résister. Mais qu'ils veuillent résister ou non, ils plient, sinon ils seront déracinés. C'est comme ça. Clara, qu'elle le veuille ou non, doit obéir et passer des vacances nulles. Sinon il lui arrivera bien pire. Mais elle ne comprend pas pourquoi ses parents sont persuadés qu'elle va passer des vacances qui l'aideront beaucoup, qu'après elle aura changé. Pourtant ils savent à quel point cet endroit est nul et elle n'a rien à faire.

Bon, il faut positiver. Penser à autre chose. Elle marche dans une allée boueuse, seule, entourée par les arbres, entendant les merles siffler de temps en temps. Même les oiseaux chantent mal, se dit elle. Des pas retentissent derrière elle. Quelqu'un pas très décidé ni rapide, qui accélère de temps en temps puis ralentit à nouveau. Au bout de quelques minutes comme ça, ne l'ayant toujours pas vu mais l'entendant encore, Clara tourne la tête pour voir à quoi cette personne ressemble. C'est une fille rousse d'à peu près sa taille et sûrement aussi son âge. Elle porte un imperméable rouge, un jean et des bottes en caoutchouc, ses cheveux frisés attachés en une queue de cheval basse. Dès qu'elle voit que Clara se retourne et s'exclame :

"Eh ! Salut !"

Clara s'arrête et se retourne complètement, la jeune fille avance jusqu'a être en face d'elle et recommence :

"Je suis Jennifer."

Son petit sourire et son regard malicieux, ainsi que son attitude cool et détendue, font d'elle une des filles que Clara trouve gentille dès qu'elle les voit, sans même leur parler elle peut assurer que ce sont des bonnes personnes, le style de gens avec lequel elle s'entendra bien. Après son intuition peut être mauvaise.

- Ah moi c'est Clara. Je suis chez mon grand-père pour les vacances et je cherche le parc.

- Moi j'habite ici et je peux te dire que tu ne vas pas dans la direction du parc ! Ce chemin mène a ma maison, et nul part ailleurs.

- Pardon, je me suis trompée de direction, je vais repartir vers le parc.

- Il se trouve tout droit de l'autre côté, tu longe le lac et il sera là.

- Merci beaucoup."

Clara retourne sur ses pas alors que l'autre fille va vers chez elle. Clara se retourne finalement et s'écrie.

" Attend ! Je... Euh, je ne connais pas trop le coin, et je ne connais personne. On pourrait, je ne sais pas, euh, faire connaissance ?

- Ah oui, j'aimerais bien mais là je ne peux pas, j'ai quelque chose a faire. Ça te dit de se retrouver au café de l'ange demain à 10 heures, plutôt ?

- Oui, pourquoi pas ! Mais c'est où le café de l'ange ?

- Sur la place centrale, à droite quand tu es en face du château.

- Ok merci, à demain matin alors !

- Salut à demain."

Et les deux jeunes filles partent chacune dans une direction opposée. Bonne rencontre, se dit Clara, après il faudra voir le lendemain si cette fille est vraiment sympa.

Le parc se trouve bien là où Jennifer l'a indiqué. Une fois arrivée devant la pancarte "Parc des merles, les enfants sont sous la surveillance de leur parents", Clara analyse l'endroit. Le sol est boueux et recouvert d'un gazon fraichement tondu. à droite, il y a un terrain de foot où des garçons se disputent un match bruyamment. Plus loin on aperçoit un espace pour enfants, deux chemins de terre claire permettant de s'y rendre. Il y a ici et là des installations sevrant à la musculation. Elle s'approche du terrain de foot. Les joueurs sont six et ont l'air d'avoir entre 7 et 15 ans. Clara va s'adosser à un panneau indiquant "Terrain de football non surveillé, en libre service, de 7 à 20h", juste a côté du terrain, près d'un banc.

Elle réfléchit, elle pense à Flora, Elise, Irma et Marie. D'habitude, malgré quelques tensions avec Elise, le groupe d'amies est bien soudé, elles ont souvent des moments de complicité et de fous rires, bref des moments de bonheur, et ça lui manque. Pourquoi lui en veulent elles ? Qu'a-t-elle fait pour que ses amies la détestent à ce point ? Elle n'a rien dit de déplacé, rien fait de mauvais, à part peut-être aimé l'ex petit ami de Flora, mais ça personne ne le sait, elles ne peuvent que s'en douter. Les garçons sont toujours une cause de dispute pour les cinq filles, et ils passent difficilement après leur amitié. Mattieu, elle ne l'aime pas vraiment. C'est un bon ami. Et il est plutôt mignon. Alors parfois, il lui arrive de l'aimer un peu, de passer certain bons moments avec lui, mais pas en amis, en couple. Mais un peu. Juste un peu. Après, elle se rappelle que Flora lui en voudrait. Et Flora est une si bonne amie ! Donc elle arrête, elle sort ses dangereuses idées de sa tête et se rappelle que Mattieu est juste un ami. Juste un ami. Mais est-ce ce qu'elle veut vraiment, qu'il soit juste un ami ?

Alors qu'elle est plongée dans ses réflexions, un joueur de foot quitte le terrain et va s'assoir sur le banc à côté d'elle, blessé au genou. Quelques secondes se passent dans le silence puis :

"Ça va ? lui demande-telle."

Elle n'a pas pu s'en empêcher. Ce garçon au genou en sang, elle n'a pas pu s'empêcher de lui adresser la parole. Elle ne voulait pas vraiment engager la conversation avec qui que ce soit, elle voulait juste rester seule. Et c'est après avoir prononcé ces mots qu'elle réalise à quel point il est beau et il fait peur. Ses cheveux noirs comme le jais sont mouillés et ses yeux vert perçant sont si intimidants. Il est vraiment séduisant, malgré son expression profonde de douleur qu'il tente de cacher en voyant la jeune fille. La vie de Clara se met comme sur pause lorsqu'il lui répond, d'une voix grave mais pas trop :

"Oui oui, et toi ? Que fais une si jolie fille de la ville ici ?"

ClaraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant