Le Chat du Cheshire

Jour sans Heures

Je ne suis pas fou, je ne suis pas sain. Je suis simplement un chat capable de sourire. Rien d'étonnant au Pays des Merveilles.

La Forêt de Nulle-part est mon domaine, et je suis sa propriété. J'observe les perdus, les trouvés, comme autrefois avec Alice.

Alice...une charmante jeune fille d'ailleurs. Un peu naïve...Mais elles nous a tout de même sauvé de la Reine Rouge alors...

Perché dans mon arbre, j'observe les gens, les créatures et les objets aller-venir. Ils sont amusants, complètement démesurés, détraqués, débasurdes. Fleurs qui parlent, souris qui pleurent, arbres déprimés et sangsues sensées.

Bienvenue au pays des merveilles !

Dans tout ça je suis là, le moins fou, le moins sensé, un fromage chesterien invisible.

Par la Reine Blanche ! Qu'il est bon d'être toqué.

♠

Un homme marche dans ma forêt. Il a l'air contrarié et perdu. Il marche sans faire attention sur une fleur qui hurle. Une plume centripète vient le titiller, il gronde. Le pauvre.

Je le suis un peu, amusé. Parfois j'apparais et ma robe tigrée attire son regard mais il ne me voit pas.

Il arrive alors à un croisement sans croix. Il zyeute, perdu.

Et perdant.

"On est perdu, perdant,

  danseur, serment ?" je lui dis en me positionnant sur une branche. Il sursaute et me regarde. Ou plutôt me cherche car je suis invisible.

-Qui est là ? hurle-t-il.

"Où ça ?" je demande.

-Que...Je ne sais pas, ici !

"Ce n'est pas là..." je répond.

Il continue de me chercher, agacé. Il me fait pitié.

J'apparais.

Dans ma belle tenue tigrée, je souris à pleine dent. Il me voit et blanchit.

-Qui êtes-vous...?

"Le chat de Cheshire,

  Pour vous servir !"  je m'exclame avec délice.

Il est plutôt beau cet humain. Pas autant que moi bien entendu. Moi je suis parfait.

Il m'observe avec horreur. Ou c'est mon arbre qui l'horreurise. C'est vrai que c'est un arbre particulier, haut en couleur, en taille, et en émotions. Des branches s'entremêlent, se mêlent et se démêlent, bougeant sans cesse, en une guigue en délire à rendre fou le Chapelier. Quoique plus fou qu'un chapelier, j'ignore si c'est encore possible.

-Pouvez-vous m'indiquer la sortie je vous prie ? dit-il soudain.

Je ris et tourne sur moi-même en regardant mes griffes, laissant ma queue s'enrouler autour de la branche.

"Peut-être qu'il y a une entrée,

  Peut-être qu'il y a une sortie.

  Si tu ne peux sortir d'entrée,

  C'est qu'il te faut en ressortir..."