Mon ancien appartement

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J'étais, et je suis encore, étudiant à Bordeaux. J'avais, jusqu'à ce que je redouble, un appartement situé près du centre-ville : il était à peine à 5 minutes de la gare, et à 10 au plus de mon IUT. Il se trouvait dans un immeuble d'une centaine d'autres appartements allant du T1 au T3, géré par un grand groupe d'hôtels. Il s'agissait d'un 17m², qui se constituait d'une seule pièce, avec un coin cuisine, une fenêtre au-dessus du lit, des toilettes et une douche un peu étroite. 
Le tout surplombait une petite ruelle un peu mal famée, dans un coin pas forcément agréable à traverser la nuit. Mais bon, personne n'avait occupé l'appartement depuis deux ans parce que l'étage était en rénovation, et la vue était franchement plutôt jolie.

Honnêtement, la première partie de ma première année s'est plutôt bien passée : j'ai validé mon premier semestre, et ai tenu mon appartement propre. Bref, rien à signaler. Du moins, jusqu'aux alentours de janvier-février. C'est en effet à cette période que j'ai reçu un masque assez étrange dans ma boîte aux lettres. Un masque blanc, peint de manière assez maladroite, avec une imitation de sang sous les yeux. Il possédait des lèvres peintes, et des signes assez tarabiscotés étaient tracés sur son front. Le problème : le masque était trop grand pour passer par la fente supérieure de ma boîte aux lettres, quelqu'un avait donc dû l'ouvrir pour l'y déposer.
Personne d'autre que moi n'en avait la clé, à part mon gardien. En plus, il n'y avait pas de timbre, pas d'enveloppe, pas de mot avec, juste ce masque posé là. J'ai donc passé un appel à mon gardien, qui sitôt ma question posée, m'a affirmé qu'il ne savait pas d'où l'objet pouvait provenir. En vérité, il était en arrêt maladie, et était rentré dans sa famille. Bref, il n'avait rien vu, rien fait. 

Petit coup de pression, mais la vie s'est poursuivie. Je ne me suis plus vraiment préoccupé de cette histoire, qui n’était à mon avis rien de plus qu’un canular de mauvais goût : le masque n’était accompagné d’aucune menace, et bien qu’il soit effrayant, n'avait rien provoqué de surnaturel. Qui plus est, je suis de nature pragmatique, et l’on pouvait justifier facilement le fait que ce masque ait atterri dans ma boîte aux lettres. Il existe probablement des passes, détenus par les facteurs, le concierge, ou même des voisins, passes qui auraient pu s’égarer, et faire le profit de cette blague. De plus, sous un certain angle, l'objet avait un côté ridicule et bâclé, grotesque. Mais cela ne s'est pas arrêté là. Ma deuxième découverte a eu lieu à peu près 3 mois plus tard. Alors que je faisais le ménage, je suis tombé sur un mégot de cigarette sous ma poubelle. Évidemment, je ne fume pas, et je n’avais plus invité d'amis depuis Noël. Dans tous les cas, j'avais une fenêtre pour ça. Mais bon, je m'étais simplement dit qu'il avait dû s'accrocher à la semelle de ma chaussure, et que je l'avais traîné jusqu'ici. C'est alors que j'ai capté un deuxième truc qui m'a affolé encore un peu plus. On avait écrit « Yolo » sur mon miroir.
Alors bon, ça peut paraître drôle. Mais le masque étrange, le mégot, et quelqu'un qui entre chez moi pour écrire « You Only Live Once » sur mon miroir, ça commençait à faire beaucoup.
De même, peu probable que ce fut un de mes amis : j'en avais assez peu, et ne recevais pas vraiment. Il faut dire que je n’aime pas tellement accueillir des gens dans un chez moi « à peu près » propre.
Le gardien était la seule autre personne à ma connaissance à avoir mes clés. Et forcément, il était introuvable. 
J'ai gardé mon calme, sans m'affoler. J'ai calmement effacé la trace sur le miroir, et ai jeté le mégot. Une blague, c'est tout. Du moins, c'est ce dont j'ai essayé de me convaincre, tout en gardant la tête froide. Je veux dire, à ce stade, qu'est-ce que je pouvais faire ? Quitter mon appartement à un mois et demi de mon départ, sans possibilité de poursuivre mes études, et tout ça pour un mégot, un masque et un miroir ? Toutes ces choses pouvaient en plus avoir une explication rationnelle : après tout, j’avais peut-être écrit ça avec mes doigts dans un instant d’égarement, sans y repenser depuis. Il ne s’agissait pas d’une preuve tangible que quelqu’un était bel et bien entré. Et puis, que faire d’autre ? Prévenir la police ? Dans une ville comme Bordeaux, avec si peu d’indices, et un concierge sûrement peu coopératif, je doutais qu’elle ait perdu son temps avec une affaire comme celle-là. Tant pis, je restais.
Mais contrairement à mes appréhensions, j'ai pu terminer mon année calmement. J'ai fait mon état des lieux, et ai quitté l'appartement pour l'été.

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