Théâtre D'une Classe

SIXIÈME ACTE - Romane

Le sixième personnage a dérogé aux règles avant même l'ouverture de l'acte. Oui, elle s'exprime.

S'exprimer est interdit.

Pourtant, l'actrice s'exprime. Les autres acteurs la regardent, sans vie.

Elle ne va pas leur parler. Qui voudrait leur parler ? Personne ne veut leur parler.

Ils sont inertes, sans vie. Ce sont des images sans couleur. Un noir et blanc fade qui ne plaît pas à l'actrice numéro six. Alors, elle refuse de leur parler. Elle dessine.

Dessiner est interdit.

L'art est interdit.

Ce n'est pas écrit dans le script.

Dans le script, il est écrit : personne ne doit bouger, personne ne doit parler. Il faut être silencieux jusqu'à l'arrivée d'un adulte qui leur criera d'être encore plus silencieux. Le cours commencera, en silence. Encore et toujours le silence. À la fin de la classe, tous sortiront. En silence, encore et toujours. Les acteurs ne parlent pas, ne souffrent pas, ne pleure pas. Ils travaillent en silence. Mais surtout, les acteurs ne dessinent pas.

L'actrice déroge au script. Elle commence par signer son dessin. Au crayon, elle écrit Romane en lettres majuscules, pour se différencier.

Se différencier est interdit.

Signer est interdit.

Dessiner est interdit.

Romane dessine une classe bruyante.

La scène est silencieuse. C'est conforme aux règles.

Le mutisme prend le dessus, le scénario est suivi.

Mais, dessiner, ce n'est pas suivre le scénario.

Rêver, ce n'est pas suivre le scénario.

Romane crayonne. Elle met sur le papier tout ce qu'elle rêve de voir. Ce dessin-là, il n'est pas comme les acteurs. Ce n'est pas juste une image sans vie. Non, il est éclairé, joyeux. Il pense.

Penser est interdit. Pourquoi une image penserait-elle ? Les images ne pensent pas. Elles s'assoient en classe, se taisent, écoutent, en silence, obéissent, dans le calme.

Ce sont les règles.

Les images suivent le script.

Le dessin de Romane ne suit pas le script. Il y a des enfants debout.

Personne ne devrait être debout. Ils sont la bouche ouverte, ils parlent, ils rient, ils sont libres, ils vivent.

C'est interdit.

Pourquoi déroger au script ? Personne ne déroge au script. Qui voudrait déroger au script ?

Romane se lève, elle va au-devant de la scène. Son dessin est fini, elle le tient dans sa main.

Aller au-devant de la scène est interdit.

Dessiner sur scène est interdit.

Traverser la scène en pleine pièce est interdit.

Romane affiche son dessin sur le tableau vert, sale de traces de craies mal effacées. C'est ça qu'elle veut, c'est ça qu'elle désire. Moi aussi, je le désire. C'est Élias, l'acteur numéro sept. Romane montre point par point les détails de son dessin. Elle sourit.

Sourire est interdit.

C'est cette image qu'elle veut. Pas des images amorphes, vides de ressentis.

Ressentir est interdit.

Les images ne ressentent rien.

Elles restent là où on les met.

Elles ne bougent pas, ne parlent pas, ne ressentent pas.

Les images sont silencieuses.

Il faut être sage, il faut être une image.

C'est marqué dans le script.

On ne déroge pas au script.

Romane ne veut pas être une image, elle veut les dessiner. Elle veut y mettre des couleurs, elle veut partager ses émotions.

Colorier est interdit.

Vouloir aussi.

Partager ses émotions est interdit.

Les émotions sont interdites. Qui voudrait partager ses émotions ? Personne, c'est interdit.

Respecter les interdits, c'est respecter les règles.

Respecter les règles, c'est faire ce qu'il y a marqué dans le script.

Déroger aux règles n'est pas marqué dans le script. C'est interdit.

L'acte six prend fin, Romane regagne sa place, l'acteur suivant prend place.