Bon, ben je suis en vie.
Faut dire que j'ai couru vite.
Il n'y a qu'une seule auberge, à Elfenberg. Le Sanglier Noir.
L'aubergiste m'a souri quand je suis rentré. Il m'a dit « Alors, vous avez encore chassé le Mal ? »
Il demande ça tous les soirs depuis que je dors chez lui. En frétillant des moustaches.
Est-ce qu'il me fait payer moins cher pour autant ? Non.
Pourtant, Seigneur, ma mission aide bien ces villageois. Ne serait-ce que pour le commerce. Leurs troupeaux. Même leurs filles, tiens.
Celle de l'aubergiste aide au service. Et elle sait aussi y faire pour les pansements. Elle m'a déjà rafistolé le bras, l'avant-veille.
Elle s'appelle Oriana.
Grande. Blonde. Les filles d'aubergiste sont souvent mignonnes. Mais elle, elle a autre chose, dans le regard. Quelque chose de dur, Seigneur. Un peu comme vous, je dirais.
Du coup je demande si elle peut m'aider, parce que ma blessure me gêne encore.
Le tavernier frétille des moustaches. Il compte sur ses doigts. - Ça fera cinq sous pour l'alcool, quatre pour les bandages, trois pour le fil et deux pour l'aiguille, qu'il me dit.
J'ai envie de m'énerver, parce que c'est pas très juste, Seigneur. Je le sens. J'ai envie de lui mettre un grand coup de flamberge dans la gueule.
Mais Oriana passe à côté de moi. Elle me sourit. Elle sourit rarement. Ses yeux sont toujours durs.
Du coup je dis oui à tout.
Je suis stupide. Le tavernier a l'œil qui brille. Il me dit qu'on verra ça après le service du soir. Ça me lance encore dans la poitrine.
En attendant, je mange.
Pas beaucoup.
Avec tout ça, j'ai plus trop de quoi me payer à manger. Une cuisse de poulet, un peu de bière. J'ai encore faim. Et soif.
Je pense à mon estomac. Et puis à Oriana. Et puis à ma poitrine qui me lance. Et puis encore à Oriana. Et puis à la boule.
La boule.
Je la tapote, sous mon manteau. Ça me rassure.
Et là un gars me dit : « Eh, l'ami ».
Seigneur.
Les gars qui disent ça ne sont jamais mes amis. Plutôt des gens à qui je mettrais bien un coup de flamberge, si vous me suivez.
Il y a pas trop de monde dans la salle. Des bûcherons avec leurs surcots bruns, des bouviers qui sentent le crottin, quelques marchands dans un coin. Et puis ce gars-là.
Je l'avais pas vu avant. Pas fait attention. Erreur.
Capuche noire sur la tête, yeux gris acier, barbe de trois jours, mitaines en cuir, deux poignards passés à la ceinture.
Un ami, pas de doute.
Je le regarde.
Il me regarde.
Je le regarde.
Il me regarde.
Je mâche ce qui reste de ma cuisse de poulet, sans baisser les yeux.
Il boit à son gobelet, sans baisser les yeux.
- Tu m'as l'air d'un gars qui revient d'une fameuse affaire, l'ami, qu'il me fait en reposant son gobelet.
Je porte toujours mon manteau, pour cacher mon gambison lacéré et ma chemise tâchée de sang. Ça cache pas trop, en fait.
- C'est vrai, je suis allé porter un petit pot de beurre à ma mère-grand, que je lui répond.- Et c'est la mère-grand qui t'a attaqué ? qu'il reprend.
Il me cherche, Seigneur.
- Non, juste un petit fouineur qui avait senti l'odeur du beurre, que je dis. - Je lui ai claqué sa sale gueule à grands coups de flamberge.
ll rigole.
C'est pas rassurant.
Il dit : - Désolé l'ami. J'suis tout seul ici comme toi. J'attendais quelqu'un d'autre. mais j'pense qu'il ne viendra plus. Je m'suis dit qu'on pourrait boire un coup ensemble. À la place.
Il se lève et se penche vers moi. Je resserre mes doigts sur la boule, sous mon manteau. Histoire de lui en mettre un coup dans la gueule, si jamais.
Même si je pense que vous seriez pas très content, Seigneur. Que je la casse comme ça.
Il me lance un drôle de regard. Et puis sa main surgit de sous sa cape.
Avec une bourse remplie de sous, de jolis sous argentés. Qui font tinglinglinglingling sur la table.
- Je t'offre à manger ? Qu'il me dit.
Et ben.
Je dis pas non. Voilà comment on se fait un ami, Seigneur.
Rallen le Long.
C'est son nom. Apparemment.
Un ami qui me tient la jambe le temps que je gobe un poulet entier.
Qui me parle des campagnes d'Aquilané, du siège d'Urdatur, et même de la porte des Enfers.
Qui a participé à tout ça, qu'il dit. Un dur de dur. Vous devriez peut-être l'engager, lui aussi.
D'ailleurs...
Avant qu'on se quitte il me propose de faire un bout de chemin ensemble, le lendemain. Apparemment lui aussi va vers Eperon. La chance.
Je me demande juste, Seigneur. Un gars, comme ça. Tout comme ça.
Il attendait qui, à Elfenberg, ce soir-là ?
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Amour et Mort
FantasyVoici venu le temps des aventures d'Artedor, Chevalier des Collines ! Suivez le dans sa quête sans fin, grâce à un objet magique qui le fait communiquer avec vous, ses lecteurs, à mesure qu'il les vit. Sur les chemins de la Périlleuse Contrée, parmi...