PARTIE 1

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Seoul, 22h.

 
La pluie tombait à flots. Seung-Heon était trempé, la capuche de son sweat ne le protégeant plus de l'averse, mais en avait-il quelque chose à faire ? D'une main tremblante, il ramena sa cigarette à ses lèvres afin de tirer une taffe. Quand il expira la fumée en direction du sol, la tête basse, ses paupières se baissèrent au même instant. Il avait presque perdu toute notion. Depuis combien de temps se trouvait-il ici, debout, à faire face à la rivière Cheonggyecheon ? 20 minutes ? 1h ? Voire plus ? Il ne ressentait même pas le besoin de se mettre à l'abri ou de rentrer chez lui, tout du moins pas encore. Seung-Heon était resté à la bibliothèque jusqu'à sa fermeture, c'était devenu une habitude ces temps-ci. Habituellement, il prenait le bus qui l'emmenait jusqu'à chez lui, mais cette fois, l'envie de marcher l'avait submergée sans véritable raison apparente. Et donc maintenant, le voilà devant ce cours d'eau, ressassant de vieilles et sombres pensées.

Tout d'abord, il pensa à ses parents qui vivaient loin de lui, à ses études qui bouffaient petit à petit son énergie, à son envie d'abandonner pour voyager et enfin lâcher prise, ou encore à sa petite-amie qui voyait que lorsqu'elle se faisait insistante, essayant de faire bonne figure face aux autres. Un pouffement de rire lui échappa. Pourquoi restait-il avec elle au juste ? Il ne l'aimait pas, et elle non plus ne devait pas être follement amoureuse, même si la jeune femme devait tenir un minimum à lui pour continuer à le supporter. Ils avaient fêté leur 6 mois la semaine dernière et Seung-Heon avait essayé d'être gentil avec elle en l'invitant au restaurant. Le souci, c'était qu'il avait eu envie de se claquer le front contre le rebord de la table durant tout le repas. Il n'arrivait même plus à supporter sa voix. En fait, sans se mentir, c'était elle qui ne pouvait plus supporter. En soi, ce n'était pas de la faute de la jeune femme, c'était juste que ... Aish, même lui ne le savait pas. Cependant, ce n'était pas un mauvais gars, et il avait peur de la blesser s'il la quittait. Il savait qu'elle était du genre très, voire beaucoup trop sensible. Au fond de lui, il attendait qu'elle réalise cette tâche difficile à sa place. Que du jour au lendemain, elle en ait marre et qu'elle le plaque enfin, comme une pauvre merde. Ce qu'il était d'une certaine manière, surtout pour avoir de telles pensées envers elle.

Seung-Heon se baissa et vint écraser sa cigarette contre le sol mouillé. En bon citoyen, il glissa le mégot dans le paquet, avec le reste. Au moment où il se redressa, une voix grave se fit entendre à quelques pas derrière lui :

« - À ce rythme-là, tu vas te chopper une pneumonie avant que 00h sonne. »

Il ne sursauta pas, se contentant de lancer un regard à l'inconnu par-dessus son épaule. Au premier coup d'œil, il avait l'air d'avoir son âge, peut-être même un peu plus vieux, d'une année ou deux. Au contraire de lui, il était protégé de la pluie à l'aide d'un grand parapluie noir. Le nouvel arrivant se rapprocha de lui, sans même le quitter du regard et sans se défaire de son sourire. Il se stoppa face à lui, de quoi le protéger lui aussi de l'averse. Seung-Heon releva les yeux, jetant un rapide coup d'œil à ce petit abri. Quand il reposa son regard sur le jeune homme lui faisant face, il prit enfin la parole :

« - Merci, ... ?

- Kyung-Soo.

- D'accord ... Et bien, euh, merci Kyung-Soo. Mais tu sais, tu n'avais pas besoin de t'arrêter juste pour me protéger de la pluie. Je pense que ça devrait aller pour moi, je comptais rentrer de toute façon ... »

Kyung-Soo esquissa un sourire amusé, la tête légèrement penchée sur son épaule. Son regard se faisait insistant et cela mettait de plus en plus Seung-Heon mal à l'aise. Il détourna les yeux, n'appréciant pas les contacts visuels trop prolongés. En fait, c'étaient les contacts de toute sorte qu'il avait de plus en plus du mal à supporter. Quand sa petite-amie lui prenait le bras dans la rue, il ne pouvait s'empêcher de se crisper et faisait son possible pour ne pas la repousser. En fait, dès l'instant où on le toucher sans qu'il ne s'y attende, il avait cette envie de s'éloigner. Pourtant, il pouvait parfaitement coucher avec elle, ou même l'embrasser, dès le moment où ça venait de lui. Depuis plusieurs mois maintenant, il avait du mal à se reconnaître. Il voyait bien qu'il n'était plus celui qu'il était auparavant. Lorsque Seung-Heon était encore au lycée, il pouvait facilement se faire des amis, se mêler aux autres, et il ne grimaçait pas dès qu'un de ses camarades posait une main sur son épaule. Sauf que depuis son entrée à l'université, il s'était plongé dans le travail, délaissant peu à peu ses plus proches amis qui ne savaient plus quoi faire et qui avaient fini, eux aussi, par le délaisser. Il pouvait faire le trajet « maison – fac » les yeux fermés. Si aujourd'hui il pouvait dire à ses parents qu'il avait une petite-amie, s'était parce qu'elle était venue vers lui, lui avait demandé gentiment, tout en lui offrant divers cadeaux, et dans un haussement d'épaules, il lui avait répondu qu'il était d'accord. Pourquoi pas après tout ? Enfin, ça ne s'était pas réellement passé comme ça, mais c'était tout comme. Il s'était contenté de faire le beau, de lui sourire, et le voilà casé. En fait, certainement que la jeune femme rêvait d'avoir un joli garçon à son bras, gentil, riche et généreux, comme dans les dramas. Le problème, c'était qu'il n'était pas du tout comme ça et pourtant, elle restait accroché à lui. Une voix le fit sortir de sa torpeur :

« - En fait, pour être franc avec toi, je marchais juste au-dessus et je t'ai vu, seul, sous la pluie ... D'une certaine manière, on pourrait dire que j'ai eu pitié de toi. Je m'en voudrais si j'apprenais dans les médias, demain matin, qu'un jeune homme était mort de froid près de Cheonggyecheon juste parce que je n'avais pas pris le temps de m'arrêter pour lui venir en aide. »

Seung-Heon regarda ce Kyung-Soo d'un drôle d'air. Lui, il aurait fait parti de ceux qui ne se seraient pas arrêter. Déjà, parce qu'il ne possédait pas de parapluie, et aussi parce qu'il avait de plus en plus du mal à supporter les gens, alors les inconnus, c'était encore pire. Pour celui qui se trouvait face à lui, il ne savait pas quoi en penser encore :

« - Dans ce cas, je te remercie ? Enfin je crois ... Bref. Je ne te retiens plus longtemps. Tu as sûrement à faire, comme rentrer chez toi ?

- Oh ... Tu n'es pas très agréable comme garçon. Je m'attendais à plus comme remerciement.

- Comme ? Tu m'as juste protégé de la pluie, ne t'attends pas à ce que je te saute au cou pour te remercier, tu t'es cru dans un film à l'eau de rose ? Désolé, mais je ne jouerais pas la fille.

- Et pourquoi pas ? Je dois avouer que ça serait plus qu'agréable ... »

L'étudiant fronça les sourcils, ne comprenant pas où il souhaitait en venir. En fait, ce qu'il n'appréciait surtout pas, c'était cet air sur son visage et ce sourire un peu trop lubrique à son goût. Kyung-Soo s'était penché vers lui pour lui souffler ces derniers mots et sur l'instant, Seung-Heon ne put s'empêcher de reculer de quelques pas, se retrouvant de nouveau sous la pluie battante. L'espace personnel, il connaissait ? :

« - Bon, tu fais ce que tu veux, mais moi je vais rentrer. Bonne soirée et au revoir. »

Sous la pluieWhere stories live. Discover now