Le papillon et le soldat

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Manon s'amusait à suivre un papillon le long du chemin. Elle bousculait parfois certains couples qui se baladaient, mais tout ce qui lui importait était d'attraper ce fichu insecte, d'un blanc immaculé. Il était si beau qu'elle était persuadée qu'elle pourrait être amie avec lui si elle arrivait à l'attraper. Malheureusement pour elle, le petit être ne semblait pas du même avis, car il profita de la première occasion venue pour s'enfuir et s'envoler haut dans le ciel. La mine boudeuse, elle s'affala sur un des bancs à l'ombre. Le parc ne l'amusait pas. Quel était l'intérêt de venir regarder des fleurs ? Elle en avait pleins dans son jardin ! Si Mamie tenait tant à voir des plantes, il suffisait d'aller dehors. De plus, il faisait trop chaud, et Manon n'aimait pas ça. Annie, sa grand-mère, arriva, calmement, et regarda l'enfant d'un air joueur. Elle lui tendit un bonbon dur aux fruits pour tenter de la calmer, mais Manon refusa, vexée. Elle s'assit auprès d'elle et lui donna un petit coup d'épaule.

« _ Allons bon, tu en trouveras d'autres des papillons. Il y en a partout ici, tu sais.

_ Pas comme celui-là ! Lui, il était beau, et tout blanc en plus. Je le voulais lui. »

Elle tourna la tête et croisa ses bras, cherchant à signifier son mécontentement. Sa grand-mère rit doucement, et replaça une de ses mèches blondes derrière son oreille. Elle regarda autour d'elle, et aperçut un buisson coloré à quelques mètres de là. Elle alla alors l'examiner, et trouva ce qu'elle cherchait. La vieille dame appela sa petite-fille, pour lui montrer une fleur qui se cachait parmi les autres.

« _Oh ! Il était comme ça mon papillon, tout pareil ! »

La fleur qui se tenait devant elle était un hibiscus. Ses cinq pétales semblaient aussi doux que de la soie, et son cœur rosé fit pétiller les yeux de la fillette. Annie se tourna pour observer son expression allègre.

« _ Tu veux entendre une histoire à propos de cette fleur ? murmura-t-elle à son oreille.

_ Oui ! S'il te plaît mamie, raconte-la-moi ! »

Manon ne tenait plus en place, et son regard alternait entre la plante et sa grand-mère. Celle-ci leva les yeux à droite quelques secondes, comme pour chercher les souvenirs enfouis au plus profond de sa mémoire. Puis, d'une voix mélancolique, elle commença son récit...

*

Il faisait froid, ce soir de septembre. La serre n'avait jamais été aussi silencieuse, une ambiance pesante y régnait. Même les insectes semblaient s'être enfuis. Pourtant, au milieu de toutes ces fleurs, on pouvait apercevoir une figure féminine. Elle était jeune, mais son visage était rongé par l'inquiétude. On aurait dit que le plus grand dilemme du monde lui avait été imposé, et seules les étoiles en étaient témoins. Elle remit ses cheveux d'or ternis par la nuit en place, et se répéta plusieurs fois que tout se passerait bien.

Un bruit provenant des buissons se fit entendre, et son cœur battit encore plus vite. Une ombre imposante sortit soudainement des feuillages, et il arriva comme une fleur. La jeune femme, effrayée, le reconnut, et alors il se mit à pouffer.

« _ Éric ! Ce n'est pas drôle ! Tu m'as fait la peur de ma vie. » Soupira-t-elle, exaspérée.

Éric leva les mains en l'air, et prit un air faussement innocent. Au fur et à mesure qu'il s'approchait d'elle, son visage malicieux devint rapidement plus tendre. Lorsqu'il l'eut atteinte, il l'embrassa amoureusement. Une fois séparés, il remarqua l'inquiétude qui émanait d'elle et lui caressa la joue.

« _ Merci d'être venue, Annie... Je ne me voyais pas partir sans te dire au revoir.

_ Je t'en prie, n'y vas pas... Il est encore temps, on peut partir et s'échapper, on pourrait aller dans un autre pays, et se cacher, on pourrait...

_ Non. Tu le sais aussi bien que moi. C'est mon devoir envers notre pays.

_ Qu'importe le pays ! La seule chose qui compte, c'est toi, c'est nous... »

Annie détourna le regard, essayant de retenir ses larmes. Jamais auparavant elle n'avait été aussi triste. Tous les problèmes qu'elle avait rencontrés n'étaient que des sottises, à côte du drame qu'elle vivait. On voulait la séparer de son autre, son univers. Elle maudit si fort la guerre, qui dévastait tout. Dans quelques jours, Éric serait dans les tranchées. La simple idée qu'il pourrait y perdre la vie la fit éclater en sanglots. Elle pleura pendant de longues minutes, qui semblaient devenir des heures, devant les yeux impuissants de son soldat. Il observa les alentours, et trouva l'endroit lugubre, alors qu'il était pourtant si beau d'ordinaire. Au loin, une tâche claire attira son regard. Il s'éloigna d'Annie, il disparut puis revint près d'elle presque aussitôt.

« _ Ferme les yeux. Il chuchotait presque.

_ Je n'ai pas envie de jouer. Je ne peux pas.

_ S'il te plaît, ferme les yeux, et laisse-moi faire. »

Elle secoua doucement la tête pour exprimer son agacement, mais obéit tout de même. Une fois fait, le jeune homme fit glisser quelque chose dans ses cheveux, puis posa un baiser délicat sur le haut de son front. Il lui demanda alors de les rouvrir, et Annie sentit la présence d'une fleur dans sa chevelure. Elle y porta sa main afin de la récupérer et de pouvoir respirer son délicat parfum. Un hibiscus. Elle caressa les pétales de ses mains tremblantes, puis regarda son aimé, un sourire triste aux lèvres.

« _ Je ne suis pas sûre qu'on ait le droit d'arracher les fleurs de la serre, tu sais...

_ Il n'y a pas d'interdit pour nous. »

Les deux s'embrassèrent de nouveau. Ce fut un baiser long, salé par les larmes et rendu amer par la peur. Mais il fut rempli d'un amour pur et sincère.

*

Annie ouvrit les yeux sur le visage attentif de Manon, qui semblait attendre une suite.

« _ Et donc ? Il s'est passé quoi après ? questionna la fillette.

_ Le soldat est parti accomplir son devoir, comme il l'avait prévu.

_ Mais... Il est où maintenant...? »

Comment lui dire ce qu'il s'est passé, sans lui avouer l'horreur de la chose. C'était presque impossible. Pourtant Annie prit le visage de l'enfant, et lui montra le ciel où on apercevait encore le papillon voler.

« _ Il est avec ton grand-père. Je suis sûre que tout deux doivent bien s'entendre, ils adoraient me jouer des tours pour me taquiner. » Elle termina en lui pinçant gentiment la joue.

La jeune Manon regarda l'hibiscus d'un air songeur, comme si elle ne comprenait pas vraiment ce que sa grand-mère avait essayé de lui dire. Celle-ci, voyant son incompréhension, cueillit une des plus belles fleurs du plant, et lui offrit. Elle refusa, prétextant qu'il fallait la reposer, sinon elle se ferait gronder par ses parents. Il lui était interdit de cueillir les fleurs du parc floral. Annie retint un rire, et eût l'impression d'être devant un miroir et d'observer son reflet. Elle lui ressemblait tellement. Les mêmes cheveux, les mêmes mots, la même candeur dans le regard. Elle plaça la fleur dans sa chevelure, et chuchota en la regardant droit dans les yeux.

« Il n'y a pas d'interdit pour nous. »

le papillon et le soldatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant