Il y avait cette fille. Dans le bus. Numéro 64. Je le prenais chaque soirs, après les cours. 17h30. Il faisait chaque soirs les mêmes trajets. Je m'asseyais chaque soirs à la même place, à droite, la place un peu au fond, là où le siège est au niveau du chauffage aux pieds, avec le rideau bleu qui vous cache du monde extérieur.
Je trouve qu'il s'agit de la meilleure place qui puisse exister. Tu as chaud mais tu as quand même la possibilité d'ouvrir la fenêtre. Le rideau cache une partie de ton visage mais du fait qu'il soit attaché, il te permet d'observer les gens passer dans les rues. Et puis il y avait cette fille.
Elle me ressemble. Elle aussi prend ce bus à la sortie de son lycée. Mais contrairement à moi, elle n'a pas de place attitrée, elle s'installe simplement dans la rangée gauche. A chaque trajet, elle change de siège, se colle près de la vitre et enfonce ses écouteurs dans ses oreilles. Souvent, elle se retrouve dans mon champ de vision. Je la vois par moment fredonner les refrains de ses chansons, elle pense que personne ne la regarde, juste elle et sa musique, dans sa bulle. Mais c'est trop tard, je l'ai remarquée.
Le mois de décembre a été déterminant. Le dernier vendredi avant les vacances de noël, elle est arrivée dans le bus avec une sorte de déguisement fait de collants et de cape. Peut-être qu'elle jouait un lutin ou une elfe dans son spectacle de fin d'année. Elle s'est assise à côté de moi, seul l'allée nous séparait. Une infime frontière. C'était la toute première fois que nos regards se sont croisés. Ses yeux rieurs étaient légèrement maquillés et j'ai pu lire sur ses lèvres un "salut". Je lui souria à mon tour, et on est resté comme ça, en s'esclaffant en silence de l'une de l'autre, moi et mon regard interloqué et elle et son accoutrement loufoque. Pas que je ne me moquais d'elle. Au contraire, il y avait en elle quelque chose que je ne saurai décrire. Une force douce et puissante. De son être se dégageait une sorte de fierté de porter son costume, elle l'arborait avec gaieté et un savamment mélange de prestance et de magie ambiante qui régnait en cette période de fête. On l'admirait, l'enviait et elle propageait un sourire joyeux qui me réchauffait le coeur dans ce froid glacial.
Depuis ce vendredi, quand le bus s'arrêtait devant son lycée, j'essayais toujours de la suivre du regard. Est ce qu'elle sera là aujourd'hui ? Où sera-t-elle assise ? Me verra-t-elle ? Tant de questions qui me trottaient à l'esprit. Bien sûr, il arrivait que je ne la voyais pas. Peut-être avait-elle finie plus tôt. Mais la plupart du temps, elle se mettait de l'autre côté de l'allée, nos "saluts" sortaient tel un souffle de nos lèvres, on branchait nos écouteurs, on chantonnait chacunes notre musique jusqu'à tourner la tête pour nous surprendre la main dans le sac mutuellement, et pouffer légèrement. Elle avait trouvé sa place. On avait trouvé notre rituel. Et un lien s'était tissé entre nous, sans pour autant nous envahir.
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Il y avait cette fille
Teen FictionAvez-vous déjà rencontré le soleil en personne ? Astre resplendissant, illuminant notre quotidien sinistre par ses rayons doux et chaleureux. Moi, je l'ai rencontré. Enfin... je l'ai rencontrée. Elle. Et elle m'a éblouie. ["Il y avait cette fille...