Esme (tome 1 & 2 édités Chez Black Ink Editions)

5. Comme les grandes

Esme 12 ans

Assise sur les marches de l'escalier qui reliait la cour et le préau de Sinder Education Institute, je griffonnai le paysage qui s'offrait à moi. Mêlées à la masse, des gorgones aguichantes, dansant leur luxure devant ces petits caïds qui n'avaient en réalité que leur langue pour frapper. D'autres fantômes errant s'isolaient, nez dans leur bouquin, ne songeant qu'à terminer leur scolarité, invisibles, pour dégoter une place dans le microcosme de SinderDale. De véritables vautours rodaient, deux d'entre eux firent écran avec le soleil, répandant leur ombre sur mon œuvre.

— C'est glauque, pourquoi tu dessines des monstres, Esme ?

J'adressai une expression mauvaise à Chloé et Xiomara.

Seize ans, bimbos populaires, longue crinière brune qui frôlait leurs fesses rebondies, maquillage et talons aiguilles qui leur conféraient trois années supplémentaires... Tout ce que je ne serais sans doute jamais. Je comprenais pourquoi Xio, particulièrement jolie, avait parfois la langue fourrée au fond de la gorge d'Abain.

— Je dessine ce que je vois. Vous ne vous reconnaissez pas ? Ou ce n'est pas assez moche pour vous ?

Chloé arqua un sourcil, vexée comme un pou.

— Non mais tu vas nous parler autrement, hija de puta ! On est venues sympathiser, parce que tu nous faisais pitié à rester toute seule et qu'Abain te considère comme sa petite sœur, mais je crois que c'est tout ce que tu mérites, en fait !

Je me redressai d'un bond et les toisai depuis ma petite taille.

— Ouais, c'est ça ! Votre gentillesse vous a amenées à moi ? Laissez-moi rire ! Vous vous servez de tout le monde, vous croyez que je ne connais pas les filles dans votre genre ? Vous insultez ma mère, je vais vous dire, vous valez pas mieux !

C'est ainsi que je me ramassai une gifle monumentale et atterris sur mes fesses. Sauf que cette Xiomara m'insupportait particulièrement et, moi qui préférais la discrétion, me remis d'aplomb pour frapper son visage avec mon carnet à dessins. Ma rage s'amplifia, bouillonnait dans mes veines, m'empêchant de remarquer l'attroupement que notre altercation avait provoqué.

Xio empoigna ma queue de cheval, me mit à terre, tandis que je me débattais de toutes mes forces. Mon pied valdingua dans sa mâchoire, la faisant hurler de douleur. Je me relevai immédiatement, assaillie par des insultes soufflées à mon encontre par la cohue. Ils étaient tous de son côté, j'en avais conscience, mais je m'en fichais. J'allais la dégommer !

Soudain, mon nom retentit sèchement derrière moi. Je me glaçai, face à l'œil pétillant de mon adversaire.

Chloé fut la première à l'appeler.

— Abain ! Viens nous aider, ta petite protégée a pété une durite !

Je pivotai, quelque peu sonnée par les coups reçus. Nous nous mesurâmes quelques secondes, avant qu'il ne fronce les sourcils.

Autour de moi, tous clamèrent que je l'avais cherché, alors que personne n'avait prêté attention aux prémices de l'affrontement. Si je me foutais de ce qu'ils pensaient, je craignais le jugement d'Abain. Le souffle sommaire et les poings serrés, je le défiai implicitement de choisir le parti de sa copine. Il secoua la tête et prit enfin la parole.

— C'est tout ce que t'as trouvé pour me faire réagir, Xio ? T'adresser à une gamine de quatre ans de moins que toi ? J'avais vu juste, t'as vraiment rien dans la cervelle. Arrête de t'humilier et lâche-moi une bonne fois pour toutes.

La jubilation me fit pincer les lèvres, mais impossible de réprimer mon sourire triomphant. Tant pis s'il n'était pas dupe, il avait remis cette pimbêche à sa place !