Les Pensées vides des nuits tardives

Soir 1 - Introduction nocturne

Je fais partie de ces gens troublés du sommeil. Je m'endors facilement quand il ne faut pas. En revanche, seule dans mon lit, le soir, les lumières éteintes, le sommeil me fuit. Je subis un état entre deux mondes, une longue phase transitoire. Je suis à la fois trop fatiguée pour faire quoi que ce soit d'utile, même lorsque je lis les lignes se brouillent et le sens des phrases m'échappe. Je suis aussi trop réveillée pour me laisser aller au repos.

La cogitation devient mon seul refuge. Les pensées s'agitent et se mélangent. Nuée d'insectes virevoltant dans mon crâne. Je suis partagée entre l'émerveillement face à cet esprit constamment en mouvement, et l'agacement devant l'épuisement mental et physique qui en résultera, inexorablement.

Cela me rappelle Le livre de l'intranquilité de Fernando Pesoa. Le livre n'est toujours pas lu. Mais il m'attend. Il est sur mon bureau avec d'autres romans qui attendent d'être ouverts. Appartiendrais-je à cette race d'étrange humanité que sont les artistes ? Ces créatures qui ne semblent pas vivre sur la même planète et donc la fragilité n'a d'égal que la puissance créative qui les anime ?

Je ne me suis pourtant jamais considérée comme écrivain, malgré mes timides textes. Je porte en mon sein une peur de la réalisation qui fait de moi une partisane de l'inachevé, de l'esquisse, de l'essai non transformé.

Inachevés. Inachevés. Rappent les Casseurs Flawters.

La recherche n'a pas été fructueuse. Non pas celle du temps perdu, bien qu'elle soit aussi longue. Je n'arrive pas à voir d'offres dans lesquelles je me reconnaisse. Elles défilent pendant des heures sous mes yeux fatigués. Celles qui me semblent trop ambitieuses me font peur. Aucune ne semble à ma portée. Et quand c'est trop facile il y a forcément un hic quelque part. La souffrance, c'est le travail, n'est-ce-pas ?

L'écriture me délaisse, les mots s'effacent. Ces quelques paragraphes seront une introduction.

Inachevés. Inachevés.