Juin 1855, Covent Garden, dans les galeries du Royal Opera House
« Vraiment, lord Saxton, vous êtes un incorrigible farceur ! pouffa une voix féminine.
— Moi, farceur ? Vous m'offensez, lady Arabella, je suis le plus sérieux des hommes, répondit l'accusé avec un sourire angélique qui démentait ses propos. »
La jeune fille rougit et minauda.
L'entracte était sans doute le moment préféré de Robinson Saxton, marquis de Gladstone, lors d'un opéra. Il n'avait aucun goût pour les voix stridentes des chanteuses et les trémolos des barytons. Quant aux histoires racontées, elles se ressemblaient toutes selon lui. Une histoire d'amour impossible, des morts, la tristesse, un suicide. C'était toujours la même chose, ou bien cela faisait des années qu'il voyait la même pièce. Étant donné qu'il ne se rappelait même pas du titre de celle de ce soir, c'était fort possible. S'il n'avait aucune affinité pour ce genre de spectacle, il en avait cependant beaucoup pour la gente féminine et l'intermède était le moment idéal pour flirter selon lui car les femmes se trouvaient alors dans les dispositions les plus romantiques après avoir tant entendu chanter des cris d'amour.
Tout se passait pour le mieux avec sa proie du moment, il lui restait à savoir si la donzelle était aussi innocente qu'elle voulait le faire croire. Si elle tentait de lui mettre la corde au cou, la mission serait avortée. Il cherchait à s'amuser, pas à se marier, il avait bien le temps pour cela. Il ne voulait être ni le premier, ni le dernier.
Un éclat de lumière attira son œil, il comprit avec étonnement que cela venait des cheveux blonds et sagement attachés d'une jeune dame qu'il n'avait jamais vue. De taille moyenne, enveloppée dans une soie gris foncé, la robe était loin d'être remarquable : une belle coupe et de bon goût mais elle ne mettait pas en valeur les jolies courbes de celle qui la portait. Était-ce une dame de compagnie ? Quel âge avait-elle ? Elle ne paraissait pas vieille, mais de dos c'était difficile à dire. Il se tourna vers son meilleur ami, occupé lui aussi à conter fleurette à une autre jeune femme. Il lui donna un coup de coude et lui demanda discrètement avec un geste des yeux :
« Qui est-ce ?
— Qui ça ? Tu me montres tout un groupe de personne.
— La blonde dans la robe grise.
— Oh... oulà. Il s'agit de Constance Claybourne Seymour, jeune veuve depuis deux ans et apparemment décidée à le rester toute sa vie. Du moins, c'est ce qu'elle dit encore. Elle a dû perdre son mari et donc arrêter de venir aux mondanités à peu près un an avant que tu rentres. Ça doit être une de ses premières sorties en public.
— Claybourne ? répéta Saxton, curieux.
— Oui, comme le vicomte.
— C'est la petite sœur d'Albert ?
— Non, sa grande-sœur, plus âgée d'un an, elle a ton âge. Elle est en deuxième position entre William et lui.
— Tu la connais ?
— Bien sûr que je la connais, j'ai presque grandi avec Albert.
— Il faut que tu me la présentes !
— Robin, non !
— Andrew, si !
— C'est... Constance... elle n'est pas comme les autres. Et si Alby l'apprend, il te tuera.
— D'ici à ce qu'Alby revienne, il a été envoyé en Inde. Et elle est veuve, c'est bien moins risqué qu'avec Arabella.
— Robin, c'est la pire idée que tu aies eue, je t'assure qu'elle n'est pas comme Arabella, je la connais bien.
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La Constance Apprivoisée
RomanceConstance Seymour et Robinson Saxton de Gladstone n'ont vraiment pas grand-chose en commun. Ils ont le même âge, ils sont jeunes. Là s'arrêtent leurs similitudes. Elle est une jeune veuve dévastée par la mort de son époux ; il est un jeune aristocra...