8. Le retour à la réalité

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  Yves avait Corinne à ses côtés. Ils étaient allongés sur le dos l'un près de l'autre, toujours sur le lit du colocataire du jeune homme, et recouverts par la même couverture. Si elle elle semblait être aux anges, lui n'avait au contraire pas l'air tout à fait content. « Whoaw ! s'exclama la jeune fille. C'était.... Je n'ai jamais ressenti ça ! Je me sens si... Whoaw ! » Yves ne fit aucun commentaire.

- Qui y'a-t-il ? s'inquiéta-t-elle. Je m'y suis mal prise ? Pourtant, on me dit toujours que...
- Non ! Non ! répondit Yves, toujours sans enthousiasme. Ce n'est pas ça ! C'est juste...

Corinne le fixait sans comprendre. Subitement, tout devint clair pour elle et elle sembla amusée de le voir dans cet état.

- Ah oui, je comprends tout ; fit-elle. Ne t'inquiète pas, c'était plus qu'extraordinaire ; personne n'aurait pu le deviner.
- Deviner quoi ?
- C'était ta première fois non ?
- Et pas pour toi ? lui demanda-t-il.
- Oh je t'en prie, Yves... Je ne me rappelle même plus d'avec qui c'était et ça remonte à au moins... Six ou sept ans... Je ne sais plus et ça n'a plus d'importance ! Tu les surpasses tous, même si je m'en doutais un peu.

Yves fut choqué par ce qu'elle venait de lui dire. Si elle avait dix-huit ans, comme lui, ça voulait dire que c'était encore une enfant à ce moment-là.

- Il n'y a qu'en Afrique qu'on peut encore passer le cap de l'adolescence sans avoir...
- Écoute Corinne, la coupa le jeune homme, je... Je me sens un peu fatigué. En plus, on a interro demain ; alors...

Il prit un pantalon à lui qui trainait là, l'enfila, et alla s'asseoir sur son lit à lui, la tête baissée.

- Eh, qu'est-ce qui te prend de te cacher ainsi ? dit-elle en riant, à demi levée. Tu sais très bien que je viens de te voir sur tous les points... Deux fois je peux dire, si on prend en compte le moment où tu m'as...
- Arrête !
- Ou tu aurais peut-être voulu que je puisse aussi te tailler une...
- Arrête Corinne ! s'écria-t-il en se levant à nouveau.
- C'est ridicule Yves ! s'exclama-t-elle également. Que tu le veuilles ou pas, on l'a fait !
- Et bien peut-être qu'on n'aurait pas dû !

Corinne fut bouleversée et énervée. « Cesse un instant de faire l'imbécile Yves ! lui cracha-t-elle sous un ton qui haussait de plus en plus. Tu me joues les saintes nitouches maintenant ? Tu aurais dû réagir avant que je ne fasse de toi un homme ; ou avant que ta bouche ne se pose sur autre chose que la mienne ! Ça ne t'a pas plu de partager ce moment avec moi ? Bien-sûr que si ! Tu devrais me remercier au lieu de faire cette tête crétin ! » Yves, encore torse nu, n'avait pas bougé d'un poil. Elle secoua la tête, déçue, avant de reprendre hargneusement sa robe noire pigmentée de blanc. Il l'observa un moment, le regard vide, sans lui dire quoi que ce soit. Ses yeux revinrent sur le sol et quelques secondes plus tard, Corinne prit ses affaires et sortit de la chambre. Il se jetta alors en arrière, les mains sur le front, et s'affala sur son lit. « Pourquoi, se dit-il, pourquoi je n'ai pas su me maitriser ? C'était loin d'être désagréable et pourtant, je me sens si mal. Mal ! » Comme la majorité des jeunes, chrétiens qui plus est, Yves se sentait très coupable. Il se disait que rien ne pourrait jamais effacer ce qu'il avait fait. Il avait perdu tout ce qu'il lui restait de vertueux, un dimanche en outre, et ce qu'il éprouvait pour Corinne avait également disparu par la même occasion.

Il pleuvait ce soir-là. La porte de la chambre d'Yves s'ouvrit. Nathy était de retour et bien évidemment, il fut surpris de voir son lit défait. Il fixa son colocataire, déjà sur le point de s'endormir, avec colère ; mais ce dernier n'était pas dans son assiette, protégé contre le froid par un drap, et comme d'habitude, il ne lui adressa finalement aucun mot.

Le lendemain, le jeune étudiant était toujours dans le même état que la veille. Bien-sûr, il parlait avec quelques amis, mais dès qu'il se retrouvait seul, il avait à nouveau l'air d'avoir un énorme poids sur la conscience. Corinne, elle, avait repris le cours de sa vie comme si de rien n'était. Elle riait, parlait, s'amusait. Yves n'arrivait même plus à la regarder sans éprouver un soupçon de haine à son égard ; un sentiment qu'il ressentait encore plus envers lui-même. Si seulement elle ne l'avait pas suivi, si seulement il n'avait pas baissé sa garde un seul instant, tout aurait pu être comme avant. À présent, il se sentait indigne : indigne face à ces gens qui le considéraient encore comme étant l'exemple-même du garçon parfait, indigne d'être pour Mariam ce grand-frère qui lui rappelait tout le temps la différence entre le bien et le mal, indigne d'avoir des parents qui voyait en lui leur fierté, et indigne de ce dieu en qui il croyait. Il semblait que rien ne pouvait l'empêcher de déprimer, - Célia ayant décidé de l'éviter sans qu'il ne sache pourquoi - , et ce fut ainsi durant des jours, des jours entiers qu'il passait sans détacher de son esprit le souvenir de cet après-midi où toute sa vie avait été chamboulée.

  Un mois passa. Yves, un pull gris à capuche et un jean délavé, quittait le terrain en plein après-midi après son entraînement. Quand il arriva dans les gradins, une image de son rendez-vous avec Célia lui revint. « Qu'est-ce qui a bien pu se passer pour qu'elle cesse même de me saluer d'un seul coup ? » pensa-t-il. Il était obligé de l'admettre, il lui fallait quelqu'un comme Célia pour l'aider à aller mieux. Il prit un moment son portable et dans le répertoire, chercha son numéro. Mais lorsqu'il le trouva, il se mit à hésiter entre l'appeler ou la laisser tranquille. Au bout du compte, il opta pour la deuxième option. Il remit son téléphone dans sa poche et poursuivit son chemin en marchant jusqu'à son bâtiment. Quelle surprise ce fut pour lui d'y découvrir celle à qu'il venait de penser, assise sur l'une des tables avec parasol devant l'immeuble. Une fois qu'elle le vit, elle se leva pour le rejoindre. Elle avait sur elle une blouse jaune indien et une jupe légèrement serrée qui se limitait à ses genoux ; et ses cheveux, coiffés d'un serre-tête en plastique.

- Bonsoir ! le salua-t-elle assez timidement.
- Bonsoir, répondit le jeune homme assez froidement, tu vas bien ?
- Oui, je vais bien. Toi par contre tu n'as pas l'air d'aller depuis un bon bout de temps !
- C'est juste,... Le match de demain qui me préoccupe un peu on dirait. On s'assoit ?

Elle hocha la tête. Ils allèrent donc tous les deux se mettre devant la table où elle était.

- Alors, commençait Yves, que me vaut le plaisir de te revoir après cette si longue période où tu n'as cessé de m'ignorer ?
- Tu l'avais donc remarqué ? confirma-t-elle, honteuse, avant d'exposer ce dont elle voulait lui parler. En fait, Yves, si j'ai voulu parler avec toi aujourd'hui, c'est pour t'expliquer les raisons de la distance que j'ai créée entre nous.
- Vas-y, je t'écoute.
- Voilà : si je me suis éloignée de toi, c'est... C'est parce que c'est à cause de moi que tu as eu des problèmes avec ce garçon prénommé Steve.

Yves fit une tête qui montrait clairement qu'il ne la comprenait pas.

- Lorsque tu m'as dit que tu t'es battu avec un certain Steve qui s'acharnait sur toi, j'ai tout de suite compris que c'était lui.
- Qui ? demanda-t-il, étonné.
- Mon ex, confessa Célia, le premier petit ami que j'avais eu quand j'étais plus jeune.

Yves et elle ne parlaient plus. Le silence envahit leur table et une inquiétude se lisait petit à petit sur le visage de la jeune fille.

L'année de mes dix-huit ans : tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant