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     Léandre Mimosa était rentré sous les regards mauvais des villageois, qui avaient dû être au courant pour la disparition matinale. Déçu, il avait fini ce qu'il devait finir sans ouvrir la boutique, mettant la fermeture sous le compte d'une journée de congé.
     Depuis l'éclatement brutal de la vérité par le gamin du bosquet, ou peut-être depuis la déception de n'avoir rien trouvé au pied de la falaise, le quotidien du jeune homme s'était fait assez étrange. On ressentait un grossier lâcher-prise dans ne serait-ce que l'entretien de la boutique de vannerie. Les rares fois où il n'était pas cloîtré chez lui ou derrière le comptoir, il était, comme lorsque son calvaire avait commencé, au pied le la montagne. Ses journées se résumaient principalement :
– à ses besoins primitifs
– à son travail
– à la chute sans preuve
– à tenter de convaincre par téléphone qu'il n'était pas fou ; ce dont il commençait sérieusement à douter.
     Sonia, sa compagne, qui travaillait comme vétérinaire au parc zoologique le plus fréquenté de la région, n'avait pas eu beaucoup de répit ces derniers temps ; les animaux semblaient tomber malades les uns après les autres.
     — Rien de grave, disait-elle. Ils sont juste affaiblit, c'est un hasard malchanceux que ça leur arrive en même temps. J'aurais aimé qu'on se voit, pour parler de tout ça. Dès qu'on peut, on se fait quelque chose.
     Concernant l'affaire qu'il avait finalement nommé l'«affaire falaise», Sonia Cartence se montrait cependant toujours aussi catégorique : Léandre avait rêvé. C'était une personne très terre à terre et qui ne se laissait pas marcher sur les pieds, mais au grand cœur. Elle avait rencontré Léandre Mimosa lors d'une soirée d'étudiants. La jeune femme venait de se faire quitter par son petit ami ; Léandre était venu pour voir à quoi cela ressemblait. Elle s'était levée pour se servir une bouteille d'alcool ; lui était sur le point de rentrer. Alors, il l'avait aperçut. En fait, il n'est pas allé lui parler pour un quelconque intérêt, il voulait surtout éviter une catastrophe. Après ça, ils se sont revus, se sont plut, se sont mis ensemble.
     Cependant, Sonia Cartence et Léandre Mimosa n'avaient pas suivi les mêmes choix de vie, et ils commençaient à se voir de moins en moins fréquemment. Malgré ça, ils s'aimaient profondément.
     Enfin c'est ce que croyait Léandre jusqu'à ce samedi 11 juillet.

     — Donc, c'est ok ? Je viens passer le weekend chez toi ?
     — Ok. À demain.
     — À demain, conclut Sonia après un instant de silence.
     Léandre aurait sauté de joie à l'idée de passer ne serait-ce qu'un weekend avec sa bien-aimée ; sans l'affaire falaise. Mais il ressentait une certaine appréhension, sans vraiment savoir pourquoi, qu'il s'efforçait d'ignorer. Sans grand succès. Parfois malheureusement, les petits doigts ne mentent pas.

     Il était en danger, dans un corps qui n'était pas le sien et qu'il ne pouvait contrôler. Comme s'il le partageait ; mais il le savait, c'était lui le parasite. Il avançait sur le flanc d'une montagne, empruntant un chemin boueux bordé de chênes et d'herbes malades qui griffaient ses membres douloureux, engourdis. Son cœur battait dans ses tempes et il entendait sa respiration très fort. Trempé jusqu'aux os, glacé, chancelant, il s'efforçait de ne pas ralentir le rythme. Il était épuisé. Mais... Brûlait en ce corps une volonté que rien ni personne ne pourrait atténuer et qui occupait tout son esprit. Il était décidé, il allait stopper tout ça dont lui seul était responsable. Il était temps de faire cesser ces massacres. Au bout d'une interminable lutte contre l'effondrement, il arriva enfin. Devant lui, le chemin continuait. À sa gauche, il s'ouvrait en une terrasse rocheuse. Il pivota, s'engageant sur la pierre. Il s'arrêta à quelques pas de son extrémité. Un peu plus loin, s'étendait... le vide. Il scruta l'obscurité, devinant les chaînes de montagnes au delà du village souffrant. Il s'assit. Quelques instants après, il chantait. Sa voix était douce et féminine ; elle sembla résonner et se répercuter sur chaque centimètre carré jusqu'à l'infini ; ainsi, il — ou plutôt l'âme qui habitait ce corps —, était sûr de laisser une trace de son existence à tout jamais. Les ondes ne disparaitraient pas, il resterait toujours une vibration, aussi infime soit-elle, pour rappeler au monde qu'il avait été là. Puis, il se leva, s'avança et se laissa tomber.
     Il tomba pendant une éternité, lui parut-il ; l'esprit du jeune homme était terrifié, s'il avait été lui il serait resté pétrifié : il allait mourir, inévitablement. Qui n'avait pas peur de la mort ? Personne qu'il ne sache. Sauf... celle qui habitait ce corps. Elle, au lieu d'appréhender le choc qui allait suivre, la fauche qui allait s'abattre sur elle brutalement, elle, avait l'esprit serein, l'esprit apaisé.
     Puis, il perçut... le sol. Qui se rapprochait, dévorait la distance qui les séparait. Léandre contracta tous ses muscles et se prépara au choc.

     Le jeune homme se réveilla en sursaut, trempé de sueur, ses doigts agripés avec force à ses draps. Il fallut un moment à l'adrénaline pour redescendre, après quoi il se détendit et poussa un interminable soupir de soulagement. Il était sain et sauf, sur son étroit matelas inconfortable.
     Il pensa à son rêve, imagina toutes sortes de scénarios farfelus qui expliqueraient l'affaire falaise, puis se résigna : cette vision, qui n'était que le fruit de son imagination, commençait à devenir une obsession ; il devait cesser de se faire du soucis... Tout de même, ce rêve avait l'air si réel... Non. Tous les rêves paraissaient réels.
     Il se rendit au salon, plus éveillé que jamais, et jeta un coup d'œil à l'horloge qui trônait au dessus de la porte des toilettes. Onze heures quarante sept... Soudain, on frappa à la porte. Le jeune homme, étonné, se couvra rapidement et alla ouvrir.
     La jeune femme avait dans les vingt-cinq ans. Petite, musclée et au formes rondes, à la large poitrine sous un ample t-shirt bleu ciel, ses épais cheveux d'un noir brillant et au reflets bleutés coiffés en demi-queue tombaient en cascade sur son dos et ses épaules. Le front bombé, le nez retroussé, les yeux en amande brun-noir, la bouche pulpeuse, Sonia Cartence se tenait debout sur le seuil de la porte, son sac kaki sur le dos.
     — Soso ! s'exclama Léandre en guise de bonjour, surpris de trouver là sa compagne.
     — Léandre ! Tu m'avaid oubliée ? remarqua celle-ci après un rapide coup d'œil devant elle.
     — Quoi ? Euh... Peu importe, je suis ravi qu'on se voit enfin...
     Il se rapprocha, et colla son front contre celui de Sonia. Sa respiration s'accéléra, son cœur s'emballa.
     — Je t'aime.
     Et il l'embrassa.
     Le samedi après-midi se passa très bien, un samedi après-midi de couple. Balade, évocation de souvenirs, embrassades. Dimanche cependant les choses se corsèrent. Lorsqu'il se mirent à reparler de l'affaire falaise, Sonia s'irrita. Une dispute finit par éclater.
     — Tu sais quoi, Léandre ? Je n'en peux plus ! Plus, de toi qui ne fais aucun effort pour nous, et de tes histoires à dormir debout ! Je... Je voulais y croire encore mais là ce n'est plus possible. On ne se voit plus, et moi je t'oublie. Écoute, je... J'ai rencontré quelqu'un. Je vais rentrer. Je suis désolée.
     Telles furent les paroles qu'elle prononça avant de ranger ses affaires et de prendre la voiture sans un regard en arrière.

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 14, 2019 ⏰

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Léandre MimosaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant