Belle Reve

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«Ce n'est pas un signe de bonne santé mentale d'être bien adaptée dans une société malade.» - Jiddu Krishnamurti.

Six heures. L'heure habituelle où toute la prison se réveille pour ceux qui sont parvenus à fermer l'œil. Déjà, les plaintes des prisonniers résonnent dans les couloirs entre les insultes et les avertissements des matons. Réclamations. Énervement. Désespoir. Jalousie. Jalousie envers les membres de la Task Force X, ou autrement nommé par Deadshot la «Suicide Squad». Certes, tous n'ont pas eu de récompenses matérielles. Toutefois, tous ont eu le frémissement de liberté qui a traversé leurs corps et âmes. Et tous les autres savent qu'ils ne le revivront peut-être pas un jour, contrairement à eux.

Coincés à la prison de Belle Reve, ils pensent sans exception à leurs sorties. Ou à la prochaine mission. S'ils pouvaient se voir, ils partageraient sûrement des techniques ou stratégies. Amanda Waller leur promet pour chaque service rendu une baisse de dix ans sur leurs peines. Dix ans, qui à force d'acharnement, peuvent faire beaucoup. Pourtant, c'est une certitude qu'elle ne leur rendra jamais le droit de quitter les lieux bien plus tôt. A-t-elle compté pour chacun jusqu'à combien est-il possible de leur donner de mission avant de mettre au point un plan pour les éliminer ? Ce ne serait pas une surprise.

Des pas s'approchent de la cellule de Raven. L'une des plus jeunes ici, mais loin d'être la moins dangereuse. Son âge est un fléau trompeur dont elle use souvent. À travers ses barreaux, le garde qui vient d'arriver peut la voir assise en plein milieu du peu d'espace qui lui est accordé. De dos, un genoux remonté contre sa poitrine et le second mimant son ombre. La tête légèrement redressée, les yeux entièrement fixés vers le mur face à elle, vers la minuscule fenêtre qu'elle est autorisée à avoir. Les doigts croisés autour de sa cheville, vêtue de sa tenue de prisonnière remodelée à sa façon. Quelques déchirures par-ci, par-là. Les manches relevées laissent apparaître sur l'intérieur de son avant-bras gauche un corbeau entouré de taches sombres. Le sol est froid. L'air est étouffante, comme à l'accoutumé. Extrêmement silencieuse, elle attire une attention méfiante de ceux qui travaillent ici. Même de l'autre côté des cages, à l'abri derrière leur autorité, ils savent pertinemment qu'ils ne font que peu le poids et ne sont pas franchement en sécurité. C'est exactement la réflexion de celui qui s'approche d'elle avant de s'arrêter à quelques centimètres des barreaux. La chose qu'ils ne comprennent pas, c'est qu'à cet endroit puisqu'il n'y a que le silence pour jouer la réplique, tout le monde finit par garder ses pensées pour eux-mêmes. Les cris viennent de débutants ou de persévérants en la matière. Certaines fois, ce sont des codes. D'autres de véritables expressions de la haine qui se concentre en eux. Il ne fait que froid à Belle Reve. Sans un moindre rayon de soleil pour consolider leurs espoirs. Un vieil air de rock'n'roll tout au mieux au loin, grésillant depuis une radio.

Consciente d'une présence extérieure à la sienne, elle ne daigne pas bouger du moindre millimètre. La lassitude vient avec le temps, plus rien ne l'atteignait avant mais aujourd'hui c'est pire. Elle tuerait un ou une inconnu(e) sans seconde pensée pour une unique minute de véritable liberté, à l'abri de tous les autres. Toute sa vie n'est basée que sur cette idée. S'isoler de cette pression de ne pas flancher, de se défendre pour avoir le droit de respirer et de garder à la hauteur les rumeurs sur les crimes commis. Pas d'amour, seulement des ronces autour de leurs cœurs. Les sentiments comme l'empathie sont à abattre de leurs vocabulaires pour tenir.

- Où est D. ?, questionne-t-elle subitement.

- Qui ?, répond-il incertain.

Un instant sans réponse, il doute qu'elle lui adressait la parole. La folie engage parfois des raisonnements oraux et en solitaire. Soudain, elle tourne abruptement son regard félin dans sa direction, un sourire malicieux perçant au coin de ses lèvres. S'il serait plus prudent, il aurait deviné que ce n'est pas un bon plan pour lui. Dommage, la chance du débutant s'arrête de miser à l'entrée, ici. Elle se lève et s'appuie le dos contre la barrière de métal. D'attitude charmeuse, elle laisse son t-shirt absorber tant qu'il le peut ses courbes féminines et lui accorde royalement une vue sur la peau nue de son cou jusqu'au bas de son épaule. Ses pupilles d'un vert chatoyant le détaillent ouvertement de haut en bas d'un air appréciateur. Un nouveau. Très peu habitué à ce qu'il est censé faire, interdit par n'importe quelle phrase un peu trop osée, intimidé par les clients et désarmé par les horaires. En soi, tout à fait son genre de cible.

Possède seulement mes désirs | Suicide SquadOù les histoires vivent. Découvrez maintenant