Prologue

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Lorsque que j'étais gamine, il y avait un homme bizarre dans la petite bourgade que j'habitais.

A la sortie de la ville, le long d'une grande route bordée par les champs de blé, il était toujours assis sur un banc qui donnait sur une piste cyclable. Il était systématiquement muni d'un parapluie déplié, même par temps de soleil. Il se cachait probablement des rayons de celui-ci, de la pluie, ou bien encore des regards un peu trop curieux comme le mien.

Lorsque je rentrais du supermarché avec ma mère, je le voyais régulièrement. Tous les jours, à la même heure, sur le même banc, il était à sa place. A cause de son parapluie, je ne le voyais pas vraiment. D'ailleurs, je n'avais jamais vu son visage. Je n'étais parvenue qu'à distinguer une silhouette mince et frêle, quoique ce grand imperméable noir et ce fichu parapluie fussent pas vraiment propices à permettre une quelconque visibilité. Je voyais juste une personne, cachée sous sa grande toile, en train de lire un bouquin.

Lors d'une énième fois où j'étais passée sur cette route en voiture avec ma mère, je l'avais aperçu. Et à nouveau, mes yeux de jeune fille avaient pétillé à la vue de ce personnage mystérieux.

« Maman, qui est cet homme sur le banc, là bas ?

- Je ne sais pas, mon cœur. Mais il est toujours là le soir quand je reviens du travail. Qu'il pleuve, qu'il neige, qu'il fasse chaud ou froid, il est toujours au rendez-vous.

- Tu crois qu'il est triste ? Il a l'air bien seul...

- Peut-être. Ou peut-être qu'il aime tout simplement être à cet endroit-là. Tu sais, ça fait du bien d'être seul, parfois. Ce n'est pas parce qu'on est seul qu'on est forcément malheureux. »

Le paysage défilait, et bientôt l'inconnu n'était plus qu'un petit point dans la masse jaune des épis de blé. Et il disparaissait de mon champ de vision.

L'histoire de cet individu m'intriguait. J'avais envie d'en savoir plus sur lui. Je voulais comprendre son rituel. Je voulais savoir pourquoi il était là, tous les jours, et aussi pourquoi il se cachait.

Enfin, ça, c'était ce que je pensais à l'époque, car la réalité fut finalement bien différente.

Nous sommes pris dans la routine quotidienne. A 14 ans, on porte rapidement nos attentions sur d'autres choses que la simple présence curieuse d'un homme sur un banc. L'histoire a fait que je ne suis plus passée sur cette route pendant longtemps.

Et j'ai oublié cette personne.


Mémoires d'un bancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant