Un écrivain cherchant l'inspiration pour son prochain roman.
Un veuf attendant le retour désespéré de l'âme de son épouse partie trop tôt.
Un tueur en série repérant la prochaine proie qu'il pourrait empaler de ses griffes.
J'avais inventé toutes sortes d'histoires, construit tant de personnages.
Mais finalement, il n'en était rien. Car le garçon qui me toisait depuis le ciel venait de briser des années de rêvasserie futile et infantile.
C'était donc cela ? Plutôt, c'était donc lui qui se cachait derrière cette grande toile noire depuis toujours ? Et non un romantique vieil homme un peu artiste ou un fou criminel ?
La déception s'empara de moi un instant, avant que l'excitation ne revienne au galop. Sous l'effet du choc, ma vision s'était trouvée troublée, et avait clairement obstrué ma contemplation. Et quelle ne fut pas ma détresse, lorsque je découvris qui se trouvait au dessus de moi.
Un garçon ? Non, il aurait été préférable de parler d'un jeune homme. Et quel jeune homme.
Son expression était neutre. Il me fixait de ses yeux noir tempête sans qu'une once d'émotion quelconque ne traverse son regard. Il ne semblait pas inquiet, pas même affolé. Son expression translucide était des plus déconcertantes. Aurais-je pu dire... Inhumaine ? Irréelle ? On aurait presque dit...
Un ange.
Oui, c'est cela. Un ange tout droit venu des cieux pour constater ma déchéance. Son visage harmonieux, parfaitement symétrique et un brin enfantin, rappelait les peintures de ces petites créatures ailées que l'on retrouvait dans les grands musées ou dans les églises. Sa peau faussement trop blanche, lui révélait un teint doré caramel lumineux, malgré l'absence de soleil ce jour-là. La seule chose qui différait des portraits d'anges était ses cheveux brun ébène. A croire que la Porte de Saint Pierre n'était occupée que par de petits bambins asexués parfaitement blancs et parfaitement blonds, alors que ce monde était rempli d'êtres aux palettes de couleurs infinies.
L'aura que l'ange dégageait était troublante et me donnait presque le tournis alors même que j'étais déjà à terre. Malgré le vent glacé qui balayait le sol où je reposais, mon corps fut emprunt d'une chaleur aussi exquise que douloureuse, se diffusant partout dans mon être comme des fourmillements. Désormais, chacun des nerfs de mon épiderme brûlait sous l'enveloppe de ma peau. Mon cœur, lui, battait jusqu'à exploser dans ma poitrine, tel un volcan se préparant à sa première éruption après des centaines d'années de sommeil. Mon souffle s'accélérait chaque seconde, et dans ma tête circulaient des milliers et des milliers de pensées étourdies se bousculant les unes les autres, rendant impossible ne serait-ce qu'un instant la réflexion. J'avais la sensation que mon âme quittait progressivement son habitable : je perdais petit à petit le contrôle de mon corps, et c'était déroutant. Pourquoi était-ce agréablement insupportable de ne plus être le maître de mon organisme ? Et surtout, qu'est-ce qui justifiait une telle réaction ? Pourquoi étais-je dans un tel état à cette vision ? A cette découverte ?
Le jeune homme et moi-même restâmes un moment à nous regarder ainsi, engagés dans une bataille de regards sans aucun sens, tandis que la pluie continuait de venir frapper le tissu ciré qui nous protégeait de l'averse. Mes vêtements s'imprégnaient peu à peu de l'humidité de la pelouse et collaient à ma peau, rendant leur contact désagréable.
Je finis alors par m'asseoir, non sans difficulté. L'ange s'agenouilla et tendit la main de l'espoir dans ma direction. Je la contemplai un instant : vierges d'imperfections, souples et agiles, ses doigts étaient longs et fins, presque maigres. Je ne craignais de briser les os de cette main si je la saisissais trop fortement, tant elle semblait fragile. Malgré tout, je glissai ma paume dans la sienne et un délicieux frisson m'envahit au contact de la douceur de sa peau. Je réunis toutes mes forces pour tenter de me relever et de retrouver l'équilibre, avant de ne faire une nouvelle chute. Une seule avait bien suffi.
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Mémoires d'un banc
FanfictieUn homme-parapluie, assis au milieu des champs. Une stupide chute de vélo. Et un banc, qui vit la naissance d'une belle histoire.