Acte I - Scène 4: Le poids de ton armure

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Voilà ce qui arrive quand on fait preuve de clémence, songea Titus, tandis qu'il se ressaisissait du coup de tête infligé par Sextus, dans une ultime tentative de fuite. La situation fut rapidement maîtrisée. Titus retourna le bras de l'esclave désobéissant avant de le plaquer contre la porte. Des échardes s'enfoncèrent dans la peau délicate de Sextus, qui geignait sans plus oser se débattre. Le légionnaire, répugné par sa propre violence, se sentait contraint de lui dévoiler un échantillon de sa puissance, pour le dissuader de toute autre excentricité. Même lorsqu'il souhaitait être gentil, ses habitudes le rattrapaient.

Le bois qui pénétrait la joue de Sextus était moins désagréable que le sang poisseux du nez de Titus, déversé en flots épais sur sa nuque. La fuite avait échoué. Il s'était fait mal au crâne en fonçant inutilement sur son tortionnaire. Son épaule tordue menaçait de céder à chaque seconde. Il n'était plus en colère. Seulement las.

— Pourquoi te comportes-tu ainsi ? Qu'est-ce que ça t'apporte ?

Le souffle chaud de Titus frôlait sa peau. Ses chuchotements étaient empreints de rage. Il maintenait l'esclave, que les larmes menaçaient, désormais. La résistance de Sextus le quitta. Faisait-il donc si peu de cas de sa fameuse liberté ? Certains se révèlent dans l'adversité. Les autres meurent. Sextus faisait manifestement partie de la deuxième catégorie. Il se mit à croire qu'il ne méritait rien de mieux que d'être esclave. Dévasté par sa propre lâcheté, il sentit une boule dans sa gorge annoncer son chagrin, mais son orgueil meurtri le força à ravaler ses sanglots.

— Parce que je veux être libre.

Le visage de Titus était si proche qu'il sentit ses muscles se tordre en un sourire.

— Alors, tu parles ?

Sextus ignora la question, convaincu que le centurion se moquait de lui.

— Je ne veux pas être esclave, murmura-t-il, la voix brisée.

— Je sais. Mais tu es esclave, et j'en suis désolé.

Sextus voulut répliquer quelque chose d'acerbe. Rien ne vint. Alors il se tut. Titus attrapa les menottes d'une main et relâcha la pression qu'il exerçait sur son bras. Un cliquetis accompagna la brûlure du métal, de nouveau refermé sur ses poignets.

— Tu vas dormir avec moi.

— Quoi ?

— Tu parles encore ? Je vais finir par croire que tu es bavard.

— Mais je... Je ne veux pas...

L'estomac de Sextus se retourna. Sa nausée fulgurante l'empêcha de finir sa phrase. Alors que la bienveillance du légionnaire était devenue son seul réconfort, il réalisa soudain le poids qu'allait faire peser sa tentative ratée sur son avenir. Il songea à la brûlure, d'abord, puis à l'intrusion, à l'horreur de sentir quelque chose en lui, à l'impossibilité de se débattre, de lutter, de simplement refuser. Lui aussi avait pris des esclaves, parce qu'il aimait ça, qu'ils étaient là pour ça, mais il s'était toujours soucié d'entretenir avec eux une forme de passion. Il voulut se pencher pour vomir, se mit à frissonner.

— Ne tremble pas comme ça, je ne suis pas si terrible.

Titus se tourna vers lui en souriant dans le noir. Il n'avait jamais été aussi effrayant. Les jambes de Sextus manquèrent de s'effondrer. Pourquoi n'était-il pas resté sagement couché au fond de son lit ? Il aurait pu encaisser les coups de fouet, le fer rouge. Il aurait supporté toutes sortes de tortures pour ne pas avoir affaire à celle-là. D'une certaine façon, il le comprenait. Y avait-il un meilleur moyen de lui montrer à quel point il était avili ?

Il était né libreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant