Bonne famille

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"Mademoiselle Catheline ?

-Oui Ana, entre."

Elle avait une quarantaine d'année, Ana. Oui, c'est bien celle qui s'occupait de mon père, enfin, surtout de ses 3 plus jeunes frères car elle était d'un an plus jeune que lui. Ma grand-mère me l'avait "offerte" comme gouvernante à mon arrivée. Cela faisait déjà 5 ans que nous avions quitté Lyon. A 19 ans, ma grand-mère avait décidé que c'était grand temps de me marier. Elle avait donc organisé une soirée où je serai officiellement présentée à tous les jeunes ou moins jeunes potentiels prétendants qu'elle connaissait. 

"Je vous ai amené votre robe, mademoiselle. 

-Merci Ana."

Elle posa la robe sur le lit et vient s'installer  à côté de moi au piano. Elle pris mes mains et les posa sur le clavier. 

"Jouez mademoiselle, s'il vous plaît, pour moi.

-D'accord Ana."

Mes doigts caressèrent les touches et j'entamai La marche Turque de Mozart, troisième mouvement de sa onzième sonate. Au fur et à mesure que le morceau avançait, je laissai disparaître Catheline Moreau, petite jeune fille à cueillir de 19 ans, orpheline et meurtrière, pour laisser la place à Cat, pianiste passionnée, laissant éclater tous ce qu'elle ne pouvait ressentir ailleurs que dans la musique par ses mains volant de touche en touche. Des souvenirs s'emmêlaient dans ma tête. Mon père au piano du bar. Ma mère qui chantait. Mes petites mains qui essayaient tant bien que mal de contenter les directives de mon père. Le sourire du barman. La surprise sur le visage de ma grand-mère la première fois qu'elle m'a entendu jouer du piano. Ses interminables cours de solfège pour que je lise la musique et que je joue ses compositeurs préférés. Mes frères qui y avaient échappé en riant. Le regard bienveillant d'Ana. 

Je me laissai totalement prendre dans une douce ronde de mélancolie puis cette nuit de fuite me revint. Plus de mélancolie, de la colère, celle que je n'avais pas ressenti pendant ces dernières années. Mes doigts jusqu'ici fin et doux devinrent des griffes incontrôlées, battant le clavier violemment. Des mèches de cheveux s'échappaient de mon chignon si parfait et faisaient tomber un rideau de frustration sur mes yeux. Une manche de ma robe de chambre glissa le long de mon épaule. 

Quand les derniers accords résonnèrent, j'étais dans un tel état de transe qu'il me fallut plusieurs minutes pour réentendre la voix d'Ana qui s'inquiétait face à mon état. 

"Mademoiselle! Mademoiselle! Vous m'entendez ? Vous êtes toute pâle ! Est-ce que ça va ?

-Je... je vais bien Ana. 

-Vous m'avez fait peur Mademoiselle. Vos crises ne sont pas si violentes d'habitudes.

-Mes ... crises ?

-Vous savez bien, vos crises d'hallucinations."

Hallucinations ? J'examinait plus précisément mon environnement. Je n'étais pas au piano. J'étais étalée sur le lit, un serviette humide sur le front. 

"Que c'est-il passé Ana ?

-Vous étiez assise devant le piano, prête à jouer et vous vous êtes évanouie. Je vous ai allongée sur le lit et vous vous êtes débattue comme une diablesse. Vos mains battaient dans le vide.

-Je pensais jouer. Merci Ana, je vais me débrouiller pour me préparer, vous pouvez vous en aller. 

-Je ne suis pas de cet avis Mademoiselle. 

-Il ne me semble pas vous avoir demander votre avis Ana. Partez. "

Une légère détresse passa dans les yeux de ma gouvernante puis son regard s'assombrit :

"Bien mademoiselle."

Elle sortit calmement et me regarda avec insistance avant de fermer la porte. Je m'assis à la coiffeuse en bois laqué et plongeai ma tête entre mes mains. Cela semblait si réel. Je me regardai dans le miroir. Un visage fantomatique sur lequel on ne lisait aucune émotion. La violente colère qui m'ébranlait il y a quelques minutes semblaient s'être évaporée, laissant place à une face de marbre. Je me levai et me rendis à la salle d'eau. J'entrepris de me rendre présentable pour cette soirée si importante pour ma grand-mère. Quelque part, j'espérais qu'elle trouve un homme à son goût pour me marier. Quel qu'il soit, il m'arracherait enfin de cette demeure morne. Et puis, je pourrais peut-être le convaincre de ne jamais consommer ce mariage, légitimant des bâtards qu'il aurait avec une autre. C'est en berçant mon esprit de ces espoirs vains que j'enlevai chaque goutte de transpiration de mon corps, que je lavai mes boucles brunes et que j'essayai de détendre mes muscles encore engourdis de cette crise. Je sortis de la salle d'eau pour enfiler un corset que je serrai le moins possible, juste assez pour ne pas contrarier ma grand-mère sans pour autant me broyer l'abdomen. Puis vinrent le tour des jupons et enfin de celui de la robe. Je me levai et me regardai dans le grand miroir de la chambre. J'admirai cette robe blanc cassé dont le corsage était orné de perles nacrées, formant une rose, dont la jupe formait, partant de la pointe du corsage et allant de part et d'autre de la taille, trois plis lourd de chaque côté. 

Je m'assis à nouveau à la coiffeuse et refit mon chignon quasi parfait, ne laissant qu'une mèche brune s'en échapper et tomber le long de ma joue. Je parfumai mes cheveux et mon cou, remis les bretelles larges en place, me levai, enfilai un boléro nacré et sorti de ma chambre. Je descendis les escaliers de marbre et vis mes deux frères, en costume noir et cravate blanche, déjà de stature imposante pour leur jeune âge, qui attendait patiemment. Je les regardai un par un. Ils étaient vraiment beau. Je lu dans leurs yeux qu'ils pensaient la même chose à mon propos. Tandis qu'Henri avait hérité de la beauté nordique de notre mère, Paul et moi représentions le sombre charme de notre père. J'enfilai rapidement mes escarpins avant d'entendre ma grand-mère nous appeler de sa voix aigrelette. Mes deux frères m'encadrèrent et nous nous dirigeâmes vers la porte du grand salon. Ils me devancèrent et poussèrent chacun une porte, la mine sombre. Dans ce salon allait se tramer le plus grand drame de l'existence de ma grand-mère : mon mariage.  

The Killer QueenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant