I'll break your heart

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Je n'ose pas bouger.
Le silence est trop immense pour le briser d'un battement de cils.

Il y a devant moi son corps, sans vie. Le corps sans vie de mon mari.
De cet homme dans l'existence duquel j'ai passé comme une étoile de malheur.
Il est mort à cause de moi. À cause de nous.

J'ai détruit la vie d'un homme qui ne le méritait pas. Qui m'avait tout offert. Qui avait mis le monde à mes pieds et qui voulait être le père de mes enfants. Était-ce un si grand crime ?

Quand est-ce que le destin arrêtera enfin de me faire briser les coeurs ?

De décevoir et de trahir toujours les hommes qui m'aiment ?

J'aimerai avoir des regrets, des remords mais non. Je ne pleure même pas sa mort comme je le devrais.

Je suis enfin libre.

Je m'éloigne lentement de la chambre où on a laissé le cadavre et me poste à la fenêtre.
La rue étend son long ruban gris de poussière et de froid.
Je ne porterai pas le deuil. Je ne veux pas imposer cette sorte de culpabilité à Tommy.
Il a déjà bien trop de morts sur la conscience. Moi je n'en ai trois, ces deux hommes à Birmingham il y a bien longtemps, et le suicide de mon mari.

Parce que toi et moi on se comprend, on peut parler, on est pareil.

Ce n'est pas parce qu'avec Tommy je me sens vivre que je l'aime. Enfin pas seulement.
Je l'ai aimé par surprise, sans rien y pouvoir. Parce qu'il était lui, que j'étais moi. Parce que c'était inévitable. Parce que je n'avais plus rien à perdre, plus rien que lui.

Aujourd'hui la pièce est retombée du bon côté, nous sommes enfin dans le même camp même si au fond il n'y jamais vraiment eu de camp.
Il n'y a jamais eu que nous et tout ce monde qui nous entoure. Rien que des circonstances. Rien que des uniformes.

Dans les premiers mots de Tommy, dans ce qui ressemblait à une insulte, il y avait déjà le désir sousjacent que je sois ce qu'il cherchait, mêlé à la crainte de me laisser pénétrer son monde.

J'ai menti, j'ai tué pour lui, j'ai trahi la loyauté promise à mes supérieurs. Je l'ai laissé voler mon âme, mon coeur, mon corps. Je l'ai laissé me trouver, me voir, m'avoir.

Parce que je l'aime.

Je n'ai rien oublié, rien. Les courses et Kimber, le Garrison et les hommes de l'IRA.

I need someone.

I found you. And you found me.

Will you help me ?

And away it goes...

Tous ses mots sont gravés en moi et me rappellent que, malgré son regard de glace et son coeur qui aux autres paraît froid, il m'aime. Il a besoin de moi et pour moi seule il peut changer.

We will help each other.

Promesse tacite dans l'obscurité de cette nuit lointaine qui nous a liés malgré nous.

La porte s'ouvre derrière moi.
C'est lui.
Il n'a même pas enlevé son long manteau ni sa casquette.
Nous restons ainsi, lui à la porte, moi à la fenêtre. Immobiles sous le poids d'un doute inconnu.

Qu'est ce que je pourrais bien te dire ?

Je ne sais pas, Grace...

Le doute dont nous ne parlerons plus jamais mais que nous partagerons pour la vie. La certitude, au fond, d'avoir tué aussi sûrement qu'avec une lame de rasoir, l'homme qui m'avait épousée.

Insensiblement nous avons avancé et mon front se pose maintenant contre celui de Thomas.
Il n'y a plus de bruits dans la rue, plus rien que la lumière dorée du soir qui nous berce d'auréoles scintillantes.

Il n'y a plus de mots mais nos lèvres qui s'embrassent désespérément pour effacer la peine et construire à nouveau un avenir.

Il n'y a plus que nous.
Éternellement.
Les derniers rayons du soleil font presque oublier le poids des trahisons et de la mort, du sang et de la honte passée.

Autour de nous, tout se détruit toujours. Les coeurs et les vies.

Il n'y a plus que nous. Pour reconstruire un monde.

Je l'entends me dire qu'il m'aime. C'est encore si rare dans sa bouche.

I found you. And you found me.

D'or et de sang, dans cet apocalypseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant