Chapitre 1

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Maintenant qu'il l'avait face à lui, assise, Doul n'était plus très sûr que ces muscles dont il était si fier, lui conféraient une réelle supériorité que rien ne pouvait détrôner. Il avait attrapé Nadia par la capuche à la porte du collège, la soulevant pratiquement du sol, devant ses camarades qui avaient instinctivement reculé ce qui n'avait pas manqué de renouveler en lui, pour la millième fois, le sentiment de sa propre puissance et la jouissance née de la peur infligée aux autres. Cela lui paraissait confusément stupide maintenant, alors qu'il était attablé, avec elle, au Chiquito, le bar du quartier.

Nadia le fixait. Le noir de ses yeux dérangeait Doul. Un proverbe émergea des eaux troubles de son esprit: Les yeux sont le miroir de l'âme. Les yeux de Nadia tenaient leur couleur de ce qui se mouvait derrière eux. Doul frissonna.
Il aurait aimé qu'elle lui demande pourquoi elle était là. Mais elle restait obstinément muette. Se maintenir dans ce silence était une bataille que Doul savait perdue pour lui. Encore une petite minute de ce jeu-là et il serait ridicule.
- Tu veux quelque chose?
- Il me semble que c'est plutôt toi qui veux quelque chose !
- Oui, oui, mais je voulais dire, un verre de quelque chose...
Elle eut un mouvement de la tête et ses cheveux ondulèrent comme un essaim de milliers de petits papillons noirs, un entrelacs de fines boucles serrées, une fin de non-recevoir.
Elle aurait pu partir. Doul savait qu'il ne lui faisait pas peur. Mais elle restait parce qu'elle l'avait décidé.

Il commanda un whisky. Comme d'un accord tacite, du moins Doul le voyait-il ainsi, ils savaient que la conversation ne reprendrait que quand il serait servi. Ne sachant quoi faire de ses mains, de ses yeux, de lui-même, il faisait mine d'être intéressé par une affiche annonçant un spectacle de marionnettes à l'école primaire voisine. Mais c'était Nadia qui envahissait son esprit. Frêle, indifférente, narquoise. Pas vraiment Nadia d'ailleurs. Plutôt ce qui émanait d'elle. À quoi ce petit démon pouvait bien être en train de penser? Tandis qu'il relisait pour la dixième fois que le spectacle de marionnettes serait donné par les élèves de madame Leroy à 20:00 le vendredi 30 mars, Doul se sentait gagné par une nervosité à laquelle il n'était pas habitué.
Pourquoi cet idiot de serveur mettait-il autant de temps!

Nadia se répétait mentalement le mot nouveau qu'elle avait vu à la bibliothèque dans un magazine que lisait un élève de cinquième. Asphodèle. Elle imaginait que c'était une petite fleur jaune éclose en haut d'une longue tige de velours vert amande. Elle avait eu le temps d'apercevoir une sorte de plan et sa légende: le champ d' Asphodèle, l'une des trois régions des Enfers. Elle s'était promis d'en savoir plus. Pour le moment, elle savourait le mot comme un petit bonbon poivré, exquis. Asphodèle. La fleur du séjour des morts. J'aimerais bien m'appeler Asphodèle.

Avec son verre de whisky à la main, Doul retrouvait un peu de sa contenance.
Bon, alors, voilà. Il fit glisser sur la table une photographie qu'il avait extirpée de la poche de son blouson. Le portrait d'une jeune fille, plutôt jolie qui esquissait un beau sourire. Nadia ne broncha pas.
C'est Mara. Elle habite plutôt loin d'ici.
Et?
Il faudrait que tu m'aides...
À quoi? Tu as prononcé une fatwa à son encontre? C'est une sorcière? Laisse-moi voir... Oui, c'est ce que je pensais: elle est trop jolie. C'est une sorcière. Il faut la tuer?
Il se leva à demi de sa chaise et lui dit penché au-dessus d'elle, l'index pointé à quelques centimètres de son visage, menaçant: tu arrêtes maintenant et tu écoutes.
Oh, Doul le magnifique qui monte sur ses grands chevaux. Impressionnant!
Sale gamine!
Tsss, tsss, pour quelqu'un qui a besoin de moi, je te trouve bien impudent!
Doul aurait voulu l'étrangler mais, prudemment, il se rassit. Personne d'autre ne pourrait lui rendre le service qu'il était prêt à lui demander.
Il crut pouvoir cependant avoir le dernier mot: On ne dit pas impudent mais imprudent. Il accentua chaque fois la deuxième syllabe.
Oh, me'ci, j'ai v'aiment du mal avec les '...
Il comprit qu'il passait encore une fois pour un imbécile. Elle avait marqué un nouveau point. La sorcière, c'est toi, pensa-t'il.

Mara, je l'ai rencontrée l'été dernier. Et... et bien, j'ai des sentiments pour elle.
Doul s'était dit qu'il valait mieux en venir à ce qu'il voulait. Même si tout avait viré au cauchemar pour lui, même si les choses ne s'étaient pas passées comme il l'avait prévu, même si parler d'amour lui semblait comme une énorme faute de goût maintenant.

Un même silence accueillit cette confession qui lui avait brûlé la gorge à chaque mot. Empêtré dans les ficelles que Nadia, pourtant immobile, semblait avoir tendues, mis à nu de son propre chef, Doul se prit à espérer que tout cela ne fût qu'un stupide et mauvais rêve. Il ferma les yeux.
Ce matin, pourtant, tout allait si bien, il avait pris sa décision, les choses étaient simples. Comme toujours. Comme toujours, sa carrure et sa réputation joueraient pour lui. On ne refuse rien à Doul. C'est bien trop risqué.

Tu fais ta séance de relaxation? Eh, Doul?
Doul rouvrit les yeux. Le cauchemar était bien réel.

Il changea alors de tactique. Tu seras payée, évidemment...
Il lui sembla que Nadia avait réagi. Il avait enfin réussi à l'intéresser. Mais elle n'ouvrait pas la bouche pour autant.
Cinquante euros! Doul souriait. Ça faisait une jolie somme pour une gamine de treize ans.
Cinquante euros pour tuer la sorcière? Çe n'est pas cher payé! Cent quatre-vingt sept!
Quoi? Comment ça, cent quatre-vingt sept? Cent quatre-vingt sept euros? Tu perds la boule ou quoi? Je suis pas Crésus moi! Tu ne sais même pas ce que tu dois faire!
Je suis comme les tueurs à gages: j'ai mes tarifs.
Doul sentit qu'il allait la réduire en bouillie.
Cent quatre-vingt sept euros. Et tu m'apprends à installer une serrure neuve. C'est dans tes cordes, ça , non?
Doul était si estomaqué qu'il lui fallut quelques minutes pour réagir à cette demande si fantasque.
T'as fait une connerie toi, hein? Tu dois payer et remettre une serrure en place. Je savais pas que tu donnais dans le vol à la petite semaine, l'intello! Il se redressait tandis qu'il lui parlait, bombant un peu le torse, retrouvant ce qu'il était.
Tu n'y es pas Doul.
Allez, allez, on ne me la fait pas, à moi...
Tu penses ce que tu veux. Mais ma proposition est à prendre ou à laisser.
C'était elle à nouveau qui tirait les ficelles. Il fit un rapide calcul et se dit qu'en vendant son ancien iPad, il pourrait faire face aux exigences de sa partenaire. Que ça valait encore largement le coût. Mais Doul se promit de tirer ça au clair. Ça serait facile lorsqu'il faudrait installer la nouvelle serrure...

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 04, 2019 ⏰

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