Prologue Partie 1

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      Héribaud Hébert vérifia pour la troisième fois que toutes les portes et tous les volets de sa maison de Bligny étaient bouclés à double et triple tour, les verrous tirés, les barres coincées dans leurs étriers. 

  Minuit était passé depuis au moins trois ou quatre heures.Au moment où Saturne et Mars étaient en conjonction bénéfique à son projet, Héribaud Hébert alluma dans sa cheminée un feu qu'il avait préparé d'épine-vinette 1, de mandragore et du bois d'un échafaud. Il en tira un brandon pour allumer soixante-six chandelles dans la composition desquelles entrait de la graisse de pendu. 

  Les chandelles étaient noires, car il avait mêlé à leur suif des cendres d'os de condamnés au bûcher. 

  À dire vrai, il aurait fallu, pour faire bonne mesure, qu'il en allume six cent soixante-six, mais les démons qu'il avait invoqués l'avaient assuré que soixante-six chandelles conviendraient aussi bien, ce qu'il l'arrangeait étant donné le prix que les bourreaux exigeaient pour la graisse de pendu et les cendres de brûlés, sans compter le suif et la mèche.

   Les chandelles illuminèrent un cabinet de travail garni de lourdes étagères où s'empilaient des objets magiques, des fioles douteuses, des sphères armillaires, des crânes humains, des recettes sorcelleries et d'épais grimoires en quantité. 


1. Plante épineuse également appelée berberis.

Mais aucun grimoire n'atteindrait jamais la valeur de celui qu'il briguait et qui, si tout se passait bien, serait en sa possession avant que le jour ne paraisse. 

  Héribaud Hébert était sur des charbons ardents.

  Le diable seul savait si l'entreprise à laquelle il se consacrait depuis de longues et nombreuses années allait enfin aboutir. 

  Il avait repéré, non sans mal, où l'objet avait été dissimulé, il avait préparé une liste invraisemblable d'éléments qu'il fallait obtenir en fonction des phases des planètes et des jours de la semaine, il avait accompli scrupuleusement tout ce que le cérémonial exigeait. La dernière étape, la plus importante,allait commencer. 

    Héribaud Hébert mordit ses minces lèvres,tordit ses mains noueuses et sèches, tapota de ses ongles longs et pointus le bord de sa table.

   Une inquiétude obscurcissait ses pupilles jaunes où brûlait un feu glacial. Ça ne pouvait pas rater, tout était bien en place. Néanmoins, une part d'incertitude restait possible.

   Le diable réserve parfois de mauvaises surprises même à ses plus fidèles adeptes.

    Le nécromancien jeta dans son feu un nouveau fagot de ronces, vérifia d'un coup d'œil que toutes les chandelles étaient bien allumées, puis il enfila une houppelande noire brodée de signes cabalistiques et accrocha à son cou un sachet contenant des herbes vénéneuses et un doigt noirci et momifié de sorcière. 

   Alors seulement il se mit en position devant son lutrin,lequel était orné de figures cabalistiques et de sculptures de diables et de damnés, tout emmêlés les uns dans les autres,infligeant ou subissant les supplices infernaux. Tout droit,tout raide, le nécromancien tendit ses mains vers le haut,dans un geste d'invocation, il prononça des paroles dans une langue incompréhensible, il pointa ensuite, d'un mouvement brusque, ses deux index tendus vers le lutrin vide, et il psalmodia longtemps, très longtemps, des litanies de noms étranges et des objurgations sans appel.

Le Grimoire maléfique de Béatrice BottetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant