Prologue Partie 2

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    Les chandelles n'étaient plus que des moignons.

    Le feu n'était plus que braises. Une sueur d'anxiété et de chaleur coulait sur le visage de l'homme. 

   Sa houppelande de velours,le feu, les chandelles noires, c'en était trop, même pour un adepte de l'enfer. 

    Il fallait tenir, tenir encore, sans queues bras faiblissent, sans que ses doigts se recroquevillent, sans que la moindre erreur dans la litanie vienne détruire son travail. L'occasion ne se représenterait plu savant des années.

   — Satan, je suis prêt, conclut enfin le nécromancien d'une voix forte et rocailleuse. 

   Prêt à te servir mieux que jamais,prêt à répandre sur la terre un mal insidieux afin de te gagner de nouvelles âmes, prêt surtout à recevoir le livre que nul n'a jamais lu. 

  Satan, je te l'ordonne, fais apparaître sur ce lutrin le grimoire des ténèbres... 

  Héribaud Hébert tremblait maintenant des pieds à la tête. Il savait qu'il ne devait pas bouger, mais qu'il ne devait pas non plus répéter l'invocation. 

  On ne peut ordonner à Satan qu'une seule fois, en tout cas une seule fois par opération magique. 

  Que se passait-il ? Pourquoi le livre maudit n'apparaissait il pas ? 

Qu'avait-il fait ?

 Ou pas fait ? 

Ou mal fait ?

 « C'est raté, se dit-il. 

Satan ne m'a pas exaucé. Et dire que je ne pourrai pas recommencer avant neuf ans. Qui sait si je serai alors encore de ce monde ? 

  À moins que je ne demande une fois de plus un supplément de vie... Mais j'ai déjà eu deux prolongations. Le diable doit m'attendre avec impatience, je lui ai vendu mon âme depuis si longtemps, il doit avoir hâte de la récupérer... » 

  Pendant qu'il remâchait ces amères pensées, il ne remarqua tout d'abord pas que du lutrin semblaient naître des fumerolles noirâtres à odeur de soufre. 

   Les fumerolles s'épaissirent, formant comme un sombre brouillard. Elles prirent de la consistance et quelque chose apparut, suspendu au-dessus du lutrin.

 Extrait de la publication 8 Héribaud Hébert sentit son cœur lui manquer dans la poitrine. Quelque chose se passait. Était-il possible que ce soit... oui, enfin... que ce soit...Les soixante-six chandelles noires s'éteignirent d'un coup,comme soufflées par un courant d'air. 

  Le feu émit quelques sifflements furieux et s'éteignit, lui aussi. Toute la maison était dans le noir complet.

   Mais du lutrin se mit à sourdre une lumière verdâtre dont la teinte, d'abord terne et sale, devint de plus en plus vive et éblouissante, au point de blesser les yeux. Un vert acide et froid, puissant, tel qu'on n'en voyait jamais en ce monde.Et dans cette lumière verte un objet se matérialisa d'un coup, quelques pouces au-dessus du lutrin, sur lequel ils'abattit lourdement. Il y avait maintenant dans la pièce un épais vrombissement. 

  Héribaud Hébert mit ses mains sur ses oreilles tant ce ronflement insupportable lui vrillait les tympans.Puis il prit conscience que c'était fait.Il avait réussi.

    Chez lui, dans sa maison de Bligny, le grimoire des ténèbres s'était magiquement matérialisé et claquait sa couverture noire, laissant entrapercevoir l'intérieur.C'était un livre dont chaque page était noire comme le charbon, noire comme une nuit étouffante sans lune et sans étoile, noire comme le cul des chaudrons où mijotent des mixtures terribles. 

  Il portait des textes écrits dans un rouge sanglant qui ne ressemblait à aucune encre humaine, mais évoquait des brasiers d'un écarlate féroce et inhumain. Le cuir de la couverture, épais, granuleux, d'un noir métallique,semblait celui d'un monstre antédiluvien.Alors le nécromancien saisit une baguette de bois et frappa un grand coup cinglant sur le livre.

— À partir de maintenant, je suis ton maître, grimoire. 

  Tuvas m'obéir, et à nous deux, nous répandrons sur terre le malet le malheur afin de gagner à mon maître, Satan, de nombreuses âmes pour qu'elles aillent griller en enfer, ou à tout lemoins qu'elles connaissent ici-bas les pires abominations quipuissent s'imaginer

Le Grimoire maléfique de Béatrice BottetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant