Sur l'oreiller

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Ennui. Ennui ennui ennui. Ta tête posée sur l'oreiller, tes cheveux dégoulinants sur le matelas, tes yeux fixant le noir, ta tête se remplit doucement de pensées teintées d'obscurité. Doucement, tu les sens s'infiltrer dans ton cerveau. Ah, ça recommence. Tu vas encore rester éveillée jusqu'à  ce que tu n'en puisses plus, et que tu reviennes toujours au même point. Comme chaque nuit depuis que tu es teintée de bordeau.

De bordeau? Commençons d'abord par le début. Quand tu étais jeune, tu étais plutôt discrète et silencieuse. A vrai dire, tu observais les adultes. Tu observais leurs mensonges, leurs cachoteries, leur maturité, leur manière de voir le monde. Et pour être honnête, tu as rapidement défait ce tissu d'illusions dont on entoure les enfants. Voir le monde tel qu'il était ne t'avait jamais spécialement troublée. En revanche, voir tes camardes baignés de mensonges beaucoup plus. Ils te regardaient bizarrement, alors que tu ne disais que des strictes vérités. Tu leur faisait un peu peur. Et puis ils pleuraient, dès que le monde leur paraissait un peu trop sombre. Tu ne comprenais pas pourquoi les adultes leur mentaient. Ca n'avait aucune autre utilité que de les faire souffrir, si on arrache le vernis de symboliques dès le début, on ne risque pas d'être déçu par la nature des choses. Tu ne comprenais pas. Et ça t'enrageait. Tu es restée quelques temps comme ça, à réfléchir désespérément. Et puis un jour, tu as parlé de l'enfance avec ta mère. Tout est devenu limpide. Eux aussi, les adultes, ils avaient été enrubannées dans du cotons. Eux aussi, ils avaient été dégoûtés par le monde. Alors, ils voulaient un peu préserver l'innocence de leurs enfants. Ils mentaient parce qu'ils n'avaient pas le courage de faire autrement. Alors, à ton tour, tu avais fermé la porte de ton monde, afin de ne pas ruiner les inutiles efforts de ces parents, et afin d'être regardée autrement qu'avec méfiance. Tu avais six ans. Tu en as quinze maintenant.  Autant dire que tu as passée ta vie entière à te cacher à toi-même.

Seulement voilà, il y a quelques temps, tu t'es aventurée un peu trop loin dans tes pensées. C'était juste après avoir appris la raison de la séparation de tes parents. Oh, rien de bien original, ton père avait juste trompé ta mère. Tu t'es donc questionnée sur les adultes. Les souvenirs ont coulés à flot. Ta main a atteint la porte. Et avant même de l'avoir poussée, tu a été aspirée dans l'ouverture. Tu as redécouvert ton monde, d'un blanc tâché de rose, de orange et de vert. Et tu as commencée à être elle que tu n'as jamais cessée d'être. En allant en cours le lendemain, ils t'ont tous trouvés un peu différente. Un peu plus charismatique. Plus attirante. Plus calme. Oh, ce n'était qu'un peu au début. Et puis de pire en pire. En une semaine et demi, ils se sont tous mis à s'agglutiner autour de toi comme des abeilles à leur reine. Tu mentirais si tu disais que ça ne te plaisait pas au début. C'est agréable, si agréable d'être aimée par tout le monde!

Mais petit à petit, doucement, presque gentiment, ton pire ennemi s'est glissé à tes côtés. L'ennui. Tu ne t'en es à peine rendue compte. C'est qu'il est sournois l'ennui. Il a recouvert d'une chape de gris ton monde, a effacé les couleurs. Tout est devenu trop fatiguant. Se comporter comme avant était trop fatiguant. Courir après le bonheur était trop fatiguant. Le désirer était trop fatiguant. Alors, tu t'es laissée enlacer par Ennui, ta tête tournée vers le ciel regardant Bonheur s'éloigner à toute vitesse. Tu l'as laissé partir. Tes jambes ont cédé, et affalée au sol, seule, tu as vu des gouttes bordeaux tomber, éclater, et lentement, très lentement imbiber ton blanc, jusqu'à complètement le faire disparaître. Et c'est maintenant depuis ton monde de bordeaux et d'ennui, que, étalée dans ton lit deux places, tu finis de faire ton point. Et donc? à quoi ça t'aura servi précisément? Tu n'as aucune envie de retourner t'épuiser après le bonheur. La vie est longue, et les choses bougent même quand on ne fait rien. Tu n'as qu'à attendre. Juste attendre.

Alors tu enfouis de nouveau ta tête dans l'oreiller et laisses patiemment le sommeil venir.

En-dessous du vernisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant