Chapitre 1

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Les gouttes de pluie glissaient sur la vitre. La buée opacifiait le verre. Une petite fille roulée en boule sur son lit grelottait. Les yeux mi-clos, la peau de sa joue gauche un peu tuméfiée, son corps frêle n'était recouvert que d'une couverture râpeuse et granuleuse. Les éclats de voix au rez-de-chaussée accompagnaient la douce symphonie du martellement des gouttes de pluie sur la vitre. La chambre paraissait impersonnelle, meublée, d'un bureau, d'un vieux lit au cadrant de métal, d'un tapis aux poils courts et d'une bibliothèque sépia où s'entassaient des livres. Rien ne pouvait indiquer que l'on se trouvait dans la chambre d'une gamine de huit ans. Pas de peluches, de poupées, de jouets quelconques, rien. Une photo dans un cadre violet, posée sur la table de nuit illustrait deux petites filles se tenant la main. L'une avait la peau café, l'autre laiteuse, elles portaient des robes et de petites sandales blanches. La fillette à la peau noire dépassait l'autre d'une demi-tête. Un sourire sincère, dévoilant leurs dents manquantes s'étalait sur le visage des deux filles, creusant des fossettes sur leurs joues rebondies.

La porte s'ouvrit à la volée et vint cogner le mur avec fracas. Un homme d'imposante carrure, muni d'un léger embonpoint sous sa chemise vert pâle venait de pénétrer dans la pièce. Le corps de la fillette fut parcouru de spasmes violents. Lorsque sa voix puissante se répercuta contre le béton de la chambre, elle tenta de se protéger. Il vociférait des paroles désagréables qui vinrent déchirer le petit cœur de la gamine. Une femme arriva et l'attention de l'homme se porta sur elle. Ils continuèrent à se disputer, la porte claqua. Tandis que les cris s'amplifiaient dans le couloir, dans la chambre, s'échappa un « maman » presque inaudible. Elle sanglotait sans aucun bruit, ravalait ses hoquets en bloquant sa respiration.

On pense trop souvent que la violence n'est que physique. Mais les mots peuvent aussi blesser, mettre en lambeaux une âme jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien qu'une peau morte. Les promesses sont artificielles, comme des paillettes elles sont jolies sur le moment, soufflez dessus et elles s'en vont, s'éparpillent entre les lattes du plancher. Cette fillette grandit, devint une jeune femme. Alors que sa poitrine devint de plus en plus présente, la situation se dégrada. Elle décida de quitter sa famille qui n'était pas vraiment la sienne. L'être humain peut avoir une place au sein d'une communauté mais plus il est fidèle à lui-même plus il est compliqué de la conserver. A-t-on réellement le droit d'être différent de ses pairs ?

Lola mit une virgule et s'affala sur son bureau. Dans sa tête, les mots dansaient sans aucune logique. Tout lui paraissait lourd, à commencer par les émotions qui lui saisissaient la gorge à pleine main. Elle jeta un coup d'œil par la fenêtre. Les flocons de neige tapissaient le sol d'un léger voile blanc. Elle bondit de sa chaise et descendit les escaliers pour atterrir dans la cuisine. Toute la famille était attablée et jouait aux cartes. Personne ne se ressemblait, les liens du sang ne semblait pas les lier. C'était une famille de travail. Un couple qui gardait des enfants en échange d'un salaire. Cela pouvait sembler barbare, mais être famille d'accueil est l'un des métiers les plus humains qu'il soit. On donnait une chance à des individus cassés par la vie de recoller les morceaux. Ils avaient enfin les pierres nécessaires pour construire leur propre avenir.

Et pourtant, il manquait à Lola les fondations mêmes pour édifier sa maison. Un instant, ses paupières comme les pendrillons d'une scène vinrent voiler ses yeux bleus. Une image, une seule s'imposa à elle comme une vérité. La petite fille sur la photo. Nawel. Celle qui aujourd'hui avait été effacée de sa vie d'un vulgaire coup de balai. Pourtant, elle restait là dans son cœur comme un germe frigorifié par le temps. Chaque jour en classe paraissait durer une éternité. Sur le tableau de vie de Lola, les gens disparaissaient, si bien qu'il ne restait que des silhouettes disséminées dans l'ombre des souvenirs. Le monde entier poursuivait sa route alors que celle de Lola paraissait barrée d'un sens interdit. Elle devait plonger dans le passé pour faire surgir le futur.

Le petit cœur brisé de la jeune fille avait besoin d'urgence d'un mécanicien. Plus le temps filait plus les couleurs s'estompaient pour laisser place à mille nuances de gris. Il était grand temps de retrouver le soleil. Une bataille s'engagea à l'intérieur de Lola. Suivre la voie conforme aux normes que tous doivent emprunter ou s'engager sur un sentier sinueux à la recherche d'un bonheur incertain ?

Une nuit, alors que les étoiles valsaient parmi les nuages, Lola passa par la fenêtre. En guise d'adieu, elle avait déposé une lettre manuscrite où elle avait couché toute sa douleur. Elle quitta le village et s'en alla d'un pas allongé vers l'arrêt de bus. Lorsqu'au bout d'une demi-heure elle monta dans le véhicule, elle ne regarda pas en arrière. Les fils s'étaient démêlés, elle savait désormais où sa vie se trouvait. Elle devait retrouver Nawel. 

La recherche de la vieWhere stories live. Discover now